Steven ERIKSON
L'ATALANTE
336pp - 25,90 €
Critique parue en octobre 2019 dans Bifrost n° 96
Le 19 mai, à 14h19, dans la ville canadienne de Victoria, une soucoupe volante (« comme le dessous d’une assiette, une assiette en porcelaine ») apparaît dans le ciel, en plein jour, juste le temps d’enlever une femme. Ainsi disparaît Samantha August, autrice de science-fiction… Et puis plus rien. Pas d’attaque, aucune tentative de rencontre avec qui que ce soit. Rien. Cependant, peu de temps après, des champs de force apparaissent sur la planète entière. On comprend vite leur rôle : mettre en sécurité les ressources de la Terre, protéger la flore, la faune et les humains de leur prédateur le plus dangereux, l’homme. Impossible pour le soldat de tuer son ennemi ; impossible pour le mari de battre sa femme ; impossible pour un pays d’envahir son voisin. Les armes sont inopérantes, fusils comme couteaux, missiles comme huile bouillante. Les extraterrestres semblent vouloir faire le bien de la Terre malgré leurs habitants les plus violents, malgré leurs dirigeants les plus belliqueux. Comment l’espèce humaine va-t-elle réagir devant cette agression pacifique ? Va-t-elle parvenir à se trouver un but et à survivre ? Et quid de Samantha August ?
Abandonnant les univers de fantasy où il a bâti une œuvre déjà conséquente (le « Livre des Martyrs », actuellement en cours de publication aux éditions Leha), Steven Erikson aborde la SF le temps d’un roman et nous offre un message de paix et d’espoir, une ligne à suivre pour éviter le mur vers lequel fonce l’humanité. Enfin, sans doute était-ce le but initial. Sauf qu’on se retrouve très vite ici avec ce qui ressemble à une discussion de fin de soirée alcoolisée – un truc long et décousu. Et pas les plus sympas, les soirées, celles où on refait le monde avec exaltation… Non non. Plutôt celles où fleurissent les règlements de compte envers ceux que l’on n’aime pas (et Steven Erikson nourrit une détestation assez virulente envers pas mal de monde) et les distributions de bons points à ceux qu’on aime (Robert J. Sawyer, surtout).
Pourtant, le début du récit est encourageant : un rythme rapide, des questions stimulantes. Serions-nous en présence d’un roman capable de renouveler le plus éculé des tropes de la SF ? Hélas, trois fois hélas ! Si Réjouissez-vous, dans le cadre de la thématique du « premier contact », prend bel et bien le contre-pied de la littérature anti-aliens, il bascule de l’autre côté du spectre sans aucune mesure : la gente soldatesque n’est qu’un ramassis de débiles ; les Américains, des abrutis dénués d’’humanité ; quant à leur président, c’est bien simple, à côté, Trump, fait figure de Nobel en puissance. Sérieux, pareille caricature, fallait oser. Peut-être faut-il y voir le complexe du petit Canadien face à son voisin du sud envahissant ? N’empêche que le résultat s’avère totalement contre-productif. Celui qui ne partage pas les opinions d’Erikson sortira le jerrican d’essence (extraite de sable bitumineux) pour allumer son barbecue avec ce bouquin. Quant au convaincu, devant tant de mauvaise foi, une absence totale de modération, une telle quantité de « vérités » assénées telles des paroles d’évangile, pas sûr non plus qu’il arrive indemne au bout du pensum.
Bref, à moins que l’idée de confronter votre zénitude à une déblatération tantôt assommante, tantôt urticante, vous intéresse… « fuyez, pauvres fous ! »