J'avais jusqu'ici une assez piètre opinion de Connie Willis. Son précédent opus (Prix Hugo, tout de même !) n'était autre que Le Grand Livre, assez pénible exercice de style prétextant d'un voyage dans le temps d'une étudiante (qui plus est en mauvaise santé) au bon temps de la Peste Noire, pour nous imposer des pages et des pages d'une chronique certes détaillée et lacrymale à souhait de l'agonie d'un petit village médiéval anglais. Le résumé en quatrième de couverture de Remake sous-entendant la possibilité d'un nouveau voyage dans le temps, c'est avec une angoisse non dissimulée que j'amorçais ma lecture.
Et bien non ! Voilà Connie Willis métamorphosée en une espèce de Pat Cadigan (grande prêtresse du cyberpunk), à ceci près qu'en ce qui la concerne, elle, on comprend ce qu'elle raconte. À savoir ce qui pourrait arriver si tous les films pouvaient être trafiqués à volonté par les studios propriétaires des droits. Ce cauchemar pour cinéphile, tout à fait d'actualité, va se focaliser sur ce cher Fred Astaire. Nous sommes donc en 2020 et quelques, partageant à travers le narrateur l'activité fébrile des nouveaux studios hollywoodiens : remplacer le visage d'une actrice célèbre par la dernière maîtresse du producteur, insérer un touriste adipeux dans la scène d'action de son film favori, se disputer les droits d'exploitation de l'image d’un acteur décédé depuis plusieurs années. Et voilà que débarque Ails, un minois hors du commun, prête à coucher avec personne et souhaitant vraiment danser dans des comédies musicales désuètes. Flanqué d'Heada (ou tout au moins, c'est le nom que lui donne le narrateur — qui surnomme toutes ses connaissances au regard des personnages historiques d'Hollywood et de leurs rôles typiques), le héros se met en devoir de décevoir la belle. Qui disparaît… pour réapparaître selon un procédé inconnu dans les plus grands classiques de la comédie musicale américaine.
Connie Willis remplie parfaitement son contrat avec une analyse prospective réussie, même si, selon moi, elle néglige le besoin de réalité sous-jacent à tout phénomène de starisation. Même si les acteurs du passé deviennent à nouveau disponibles (et ce sera le cas en 98/99 avec Avatar James Cameron, où Bogart devrait faire une apparition criante de vérité), il y aura des gens pour croire en la possibilité d'un contact humain avec l'objet de leurs fantasmes. De même, croire que les gens cesseraient d'apprendre physiquement à danser, sous prétexte qu'ils peuvent voir des clones informatiques le faire, paraît plus que limite.
En tous les cas une plongée agréable dans un futur virtuel très proche du à moins d'être foncièrement allergique à la comédie musicale, bien sûr.