Laurent KLOETZER
NESTIVEQNEN
416pp - 24,24 €
Critique parue en juillet 2016 dans Bifrost n° 83
À vue de nez, Réminiscences 2012 contient les plus anciens textes publiés de Laurent Kloetzer. Même si le recueil a paru en 2001, plusieurs de ses nouvelles sont datées de 95-96, et la toile de fond porte nettement les stigmates d’un imaginaire fin-de-siècle pré-apocalyptique déjà un peu daté (ambiance Strange Days, Millennium de Chris Carter et bug de l’an 2000).
Monsieur K., le narrateur principal des douze aventures de ce livre (une par mois de l’an 2012, à l’époque encore dans l’indéfini du futur), est flic privé pour une mégacorpo de la Ville. Mensuellement confronté à des énigmes, crapuleries, tas de cadavres et imbroglios cyniques, il élucide ces mystères un peu au hasard, sans grand enthousiasme et parce que c’est son job. Monsieur K. est autant une sorte de Nestor Burma nonchalant qu’un double de l’auteur, velléitaire et rêveur, partageant avec ce dernier un cadre de vie (la Ville de Paris sommairement cyberpunk), des goûts musicaux (le rock des années 60-70) et une mélancolie douce de jeune adulte.
En relisant Réminiscences vingt ans après sa rédaction, après avoir suivi Kloetzer dans ses livres brillants que sont La Voie du cygne ou Anamnèse de Lady Star, je me suis demandé si, pour un écrivain, grandir en maturité ne revenait pas simplement à mieux dissimuler ses défauts. Mieux tenir le lecteur à distance, par une forme d’achèvement de ses textes.
Réminiscences 2012 est un épatant premier livre, en cela qu’il est très souvent raté (intrigues peu passionnantes, écriture floue, personnages parfois sommaires) mais que ses défauts ne pèsent pas lourd tant l’honnêteté et l’énergie de l’auteur transparaissent à chaque page. Du fait de la liberté qu’il s’octroie dans l’écriture, son livre est un petit laboratoire des littératures de l’Imaginaire, dans ses thèmes (mélange de polar, SF, fantasy, récit de guerre, parodie, autobiographie, j’en passe) comme dans ses formes. On notera, parmi d’autres expériences narratives, une nouvelle labyrinthique bourrée de liens hypertextes, conçue pour une lecture en ligne mais qui fonctionne tout à fait de façon linéaire, entre Cortázar, livre dont vous êtes le héros et littérature numérique.
Les deux grandes inventions du livre, cependant, restent le personnage d’Alex, compagnon du héros en charge des punchlines, et sa forme même. Alex est à la fois un sidekick à la Robin, un assistant à la Watson, un ressort comique à la âne de Shrek, un narrateur de récits sordides, une source de deus ex machina et l’incarnation d’une pure fonction narrative. Bien plus dense que le falot Monsieur K., Alex est la vraie création en termes de personnage, et le doute qui demeure sur sa nature constitue le fil rouge le plus passionnant du livre.
Quant à la structure (douze nouvelles indépendantes qui, combinées, forment un roman), elle est celle du fix-up, déjà employée par Ballard ou par Priest (Vermillion Sands, L’Archipel du rêve) et qui connaît toujours un succès non-démenti dans nos littératures (Complications de Nina Allan, Cartographie des nuages de David Mitchell). C’est aussi, bien sûr, celle d’une grande partie des livres suivants de Kloetzer, depuis Le Royaume blessé jusqu’à Petites morts, proposition hybride qui impose un travail de reconstruction de la part du lecteur et qui permet, par la multiplication des ellipses structurelles, nombre d’ouvertures et de questionnements sur la nature des récits.
L’œuvre de Laurent Kloetzer est un ensemble homogène et organique, riche en passerelles de livre à livre. Pour qui voudrait voir se dessiner le tableau entier, Réminiscences 2012 est une porte et une clé du labyrinthe. C’est également une lecture délassante, un pulp doux-amer et déjà vaguement nostalgique.