Christopher PRIEST
DENOËL
368pp - 22,50 €
Critique parue en juillet 2022 dans Bifrost n° 107
Chaque nouveau roman de Christopher Priest est un événement en soi. À plus forte raison quand il s’agit, comme pour Rendez-vous demain, d’un livre dont la publication en France se fait en avant-première mondiale, celle en langue originale n’étant prévue qu’à la rentrée prochaine.
Fin du XIXe siècle. Adler Beck, un Norvégien, entame une carrière de glaciologue, en partie liée à la tragique disparition de son père sur un glacier quelques années auparavant. Son sérieux et sa stabilité tranchent avec son aventureux frère jumeau, Adolf, qui n’a jamais su prendre sa vie en mains. Lorsqu’Adler, après un passage en Angleterre, décroche un poste aux États-Unis, Adolf, qui préfère se faire appeler Dolf, l’accompagne, mais pour aussitôt s’envoler vers l’Amérique du Sud. Les deux frères vont garder un lien au-delà des frontières, même s’il se relâche progressivement du fait de leurs aspirations opposées. Toutefois, un événement qui les touche tous les deux – une voix intérieure qui, brusquement, s’adresse à eux et les paralyse – va de nouveau les rapprocher. D’où vient-elle ? Mystère.
À peu près à la même époque, à Londres, un homme du nom de John Smith doit répondre de plusieurs procès, où il est accusé de malversations diverses.
Enfin, dernier fil de l’intrigue, en 2050, Chad Ramsey, profiler pour la police, perd son travail suite à l’arrivée d’un nouveau chef. Il a toutefois eu le temps de se former à une nouvelle technologie de pointe, qui permet d’entrer en relation mentale avec d’autres personnes à l’aide d’une nanoplaque implantée dans son crâne. Après son départ de la police, il se désespère à propos du réchauffement climatique ambiant et inéluctable, avant d’obtenir un contrat qui va lui permettre de réfléchir sur le sujet…
Ces différentes lignes vont se rejoindre car, bien évidemment, tout est lié chez Priest. Chad Ramsey, par exemple, a un frère jumeau… comme Adler et Dolf Beck ; la gémellité est du reste un motif récurrent dans l’œuvre de l’auteur (Le Prestige, La Séparation). Sous-jacente à cette thématique, on trouve bien évidemment celle de la notion d’identité, puisqu’au sein de chaque paire de jumeau, chacun se définit forcément en fonction de l’autre. Histoire de gravir un échelon dans la complexité et la mise en abyme du thème du double, Priest a donc inséré au cœur de son roman un fait divers : John Smith a réellement existé, comme l’attestent avec évidence les images d’époque qui parsèment le livre ; et, plus le roman avance, plus il semble bien que John Smith et Dolf ne sont qu’un seul et même homme, puisque Beck est finalement condamné par la justice anglaise. Vertigineux…
Autre fil rouge du livre, les recherches d’Adler sur les glaciers, lui qui prédit un refroidissement global de la planète dans les prochaines décennies, trouveront un écho dans celles de Chad, qui pour sa part se débat donc dans le réchauffement climatique qui conduit à une montée des eaux de plus en plus problématique et à un monde qui enchaîne les dévastations… À moins… à moins qu’il arrive à trouver un espoir dans certaines des théories les plus folles qu’auront avancées des climatologues des générations précédentes ? La précision de certaines des théories environnementales abordées par Priest montre qu’il a particulièrement soigné ses recherches bibliographiques sur le sujet, et rend le tout passionnant (même si, petit bémol, cela se traduit parfois par des passages qu’on croirait tout droit recopiés de Wikipedia). Elle tranche du reste avec les prolongements révolutionnaires du moyen de communication mentale expérimenté par Chad, qui semblent davantage magiques que scientifiques. L’essentiel pour Priest n’est ici pas la crédibilité scientifique, mais bien le potentiel ludique que lui procure cet artifice pour faire se répondre, tels des échos, deux périodes séparées par un siècle et demi.
Bénéficiant au passage d’une splendide couverture d’Anouck Faure, Rendez-vous demain se révèle donc un Priest de bonne cuvée. Sans doute pas son meilleur livre, l’écriture manque peut-être un peu de chair, mais un roman solide, documenté, qui propose à la fois de nouveaux développements sur les thématiques chères à l’auteur, et son appropriation, à nul autre pareille, du thème déjà rebattu du réchauffement climatique. Or un Priest solide, c’est déjà un événement en soi.