Disiz est un rappeur français connu au début de sa carrière sous le nom de Disiz la Peste. Originaire de la banlieue plus précisément d’Evry, dans la cité des Epinettes-Aunettes), il a sorti plusieurs albums depuis le premier, Le Poisson rouge, en 2000. Après un premier roman, Les Derniers de la rue Ponty, en 2009, voici son deuxième opus, un livre d’anticipation sociale.
L’anticipation commence dès la première page : la chronologie des événements ayant mené au futur de René nous est décrite succinctement. Lors des élections présidentielles de 2012, Nicolas Sarkozy et Ma-rine Le Pen arrivent au second tour. Après des émeutes en banlieue, Sarkozy est élu président, mais Le Pen devient rapidement premier ministre. La suite des événements conduit à la victoire du Front National en 2017 ; quand le roman débute, nous sommes désormais en 2025. Dans un Etat très policier, radicalisé, le jeune René tente de subsister, entre mère alcoolique et bandes qui règnent sur la cité. Il va faire la connaissance d’Edgar, délinquant obsédé, pour le meilleur et pour le pire…
On l’a vu, ce roman se veut ouvrage d’anticipation sociale. Encore faudrait-il que cette anticipation soit crédible et serve le propos du livre. Sur le premier point, on peut en douter très fortement : le déroulé des événements conduisant au monde de René est en effet hautement improbable. Comme il nous est imposé sans aucune finesse dans les premières pages, cela n’aide pas à entrer dans le roman, ce qui est fort dommageable car celui-ci ne s’embarrasse pas de détails sur la construction de ce monde futur, préférant s’intéresser à la vie quotidienne de ses protagonistes. Bien sûr, tout en étant invraisemblable, le livre n’est quand même pas complètement à côté de la plaque : la radicalisation décrite par Disiz est effectivement en marche, et plus les années passent, plus la banlieue ressemble à une poudrière. Mais l’auteur n’arrive à aucun moment à éviter la caricature ; en outre, quand il veut faire preuve d’un peu d’originalité, ça tombe à plat : les SMS ont été remplacés par des InstinctiPhone sur lesquels on s’exprime comme en 2012 alors que treize ans ont passé. Or, quiconque s’intéresse un peu à la culture populaire sait que les modes bougent beaucoup plus vite que ça, et qu’il y a fort peu de chances pour que les téléphones du futur ressemblent à ceux existant aujourd’hui. Un détail, certes, mais qui s’avère symptomatique de l’univers pensé par Disiz : son anticipation n’est qu’un très léger décalage du monde d’aujourd’hui. Et dans la mesure où ce qu’il y décrit n’est au fond qu’un fait divers comme il s’en produit régulièrement dans les banlieues (certes, il y a ici mort d’homme, ce qui est moins courant), en aucun cas le fait que l’intrigue se déroule dans ce décalque futuriste n’a un quelconque intérêt. Dès lors, le choix par l’auteur d’une anticipation sociale ne se justifie pas, et amoindrit même le propos de Disiz (il est beaucoup plus délicat d’écrire un roman polémique se déroulant dans les banlieues d’aujourd’hui que dans un futur hypothétique).
René se lit ainsi pour l’essentiel comme la chronique de la vie de la cité et le récit d’un fait divers. Ce qui pourrait suffire en soi, si toutefois il n’y avait de nombreuses scories dans la construction des personnages et le mode de narration. Quelques exemples : on nous dit à peu de lignes d’intervalle que René est un fou des livres, qu’il en possède plusieurs centaines sur son ordinateur… et qu’il lit toujours les mêmes livres. René, qui a vécu toute sa vie renfermé sur lui-même, ne s’ouvrant à personne, rencontre Edgar et, ni une ni deux, il le suit aussi sec, en totale contradiction avec la construction préalable de son personnage. Alors que le roman est écrit du point de vue de René, certains personnages sont introduits par leur prénom, sans que l’on sache qui ils sont (Jonathan, le frère d’Edgar, qui devient d’ailleurs un peu plus loin Michel-Jonathan). Le point de vue central de René, qui fait du reste le principal intérêt de ce livre, cède la place à d’autres points de vue vers la fin du roman, sans justification (si ce n’est sans doute celle que son auteur n’a pas su comment faire autrement). Bref, de nombreux points formels pêchent, qui auraient sans doute pu être évités avec un vrai travail éditorial, ce qui ne semble pas être le cas ici.
René se révèle donc une vraie déception, un roman caricatural qui enfile les clichés et les mauvais choix narratifs, et qui n’a qui plus est, en dépit des apparences, pas grand-chose à voir avec de la science-fiction prospective. On oublie.