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Les critiques de Bifrost

Residence beau rivage

Pierre STOLZE
PARAIGES
17,00 €

Critique parue en juillet 2016 dans Bifrost n° 83

Pierre Stolze est certes un auteur de SF et de fantastique, mais il est un écrivain à part, extraordinaire. Terme qu’il faut prendre au pied de la lettre. Ce qu’il écrit sort complètement de l’ordinaire, loin, très loin des sentiers battus. Tout le monde a fait l’expérience de lire ces thrillers ou ces romans de fantasy (surtout), tous excellents, et a éprouvé ce sentiment frustrant d’avoir lu cent fois la même chose… Eh bien, pas de ça avec Pierre Stolze ! S’il ne renouvelle nullement ni le fantastique, ni la SF, il leur impose des traitements à nul autre pareil.

Tout d’abord, il faut oser centrer tout un recueil sur l’immeuble où l’on réside et ses environs pour en envisager l’avenir sur quelques décennies. Deux immeubles, plutôt moches, ayant tout du HLM, que l’on voit sur la couverture (NDRC : L’un des deux est effectivement celui de l’auteur, photographié par lui-même !). Rien dans ce visuel ne peut donner à penser que l’on a affaire ici à un recueil de textes ressortissant aux genres de l’Imaginaire. On y verrait plutôt un essai sociologique sur l’urbanisme ou la vie des cités.

On découvre dans la première nouvelle que non seulement l’ascenseur qui vient d’être rénové parle avec un accent allemand, qu’il dessert onze des douze étages de l’immeuble, ce qui est a priori normal, mais aussi l’enfer en dessous et le paradis au-dessus !

La novella qui suit voit son action principalement située dans la maison de retraite Les Chênes Verts, où vit la mère de Bernard Maillard, sur les berges de la Moselle. Il s’avérera que son oncle n’est pas seulement un fin connaisseur du fruit de la vigne, un cinéphile émérite et un chaud lapin ; le flic enquêtant sur la disparition de la femme de Bernard finira par en perdre son latin (Stolze s’amuse à semer et à commenter moult expressions latines tout au long de l’ouvrage). Après avoir longuement flirté avec la littérature générale, le texte fini dans une efflorescence de fantastique (ou de SF ?).

Suit une courte pochade de quelques pages sur les prophéties mayas (et aldébaraniennes), et les fins des mondes censées s’ensuivre que l’on ne saurait attendre qu’avec force verres de blanc des côtes de Moselle.

En 2024, la centrale nucléaire de Cattenom, non loin de Thionville, où tout le recueil se passe, a fini par sauter. Attentat ou tremblement de terre… La vie a repris ses droits dans ces territoires contaminés où des gens ont néanmoins survécu ; une expédition s’en vient explorer la résidence Beau-Rivage qui a résisté à l’explosion. Peut-être un endroit où rester à l’écart des turpitudes du monde…

En 2050, le réchauffement climatique a fini par noyer une bonne partie de l’Europe du nord, générant son flot de réfugiés tandis que les accords de Schengen ont été dénoncés depuis longtemps. Parmi les bateliers de la Moselle, il en est pour profiter des malheurs du monde en se faisant passeurs jusqu’à ce que, la tragédie survenant, ils ne se transforment en Charon.

Dans les deux derniers textes, Pierre Stolze délaisse le ton drolatique du début sans pour autant qu’il y ait de rupture ; la dernière nouvelle, qui tient davantage du policier que d’une SF qui n’offre que le contexte, s’avère même franchement dramatique.

L’écriture et les personnages croisés dans ce recueil entretiennent le flirt permanent de ce dernier avec la littérature blanche sans cependant dénier à aucun moment les genres de l’Imaginaire – si on excepte la dimension politique, Résidence Beau-Rivage ne peut guère se comparer qu’à l’excellent recueil de Claude Ecken, Au réveil, il était midi (l’Atalante), les deux auteurs ayant en commun de tenir la distance avec les riens de la vie quotidienne de tout un chacun. Mais surtout, on s’amuse beaucoup. Bâtir un recueil cohérent autour d’une résidence quelconque d’une quelconque ville de province et y intéresser le lecteur était certes un pari un peu fou. Un pari tenu, et gagné.

Jean-Pierre LION

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