Ce roman est le troisième d’une série commencée avec Eternity Incorporated (cf. Bifrost n° 65) puis Thinking Eternity (cf. Bifrost n° 78), chez le même éditeur, qui sont désormais disponibles en poche. S’il n’est pas nécessaire d’avoir lu les deux volumes précédents pour apprécier le dernier, c’est cependant préférable pour avoir une idée aussi exhaustive que possible du background.
Dans la seconde moitié du troisième millénaire, l’humanité a été quasiment éradiquée de la surface de la Terre par les consciences artificielles – seule une parcelle subsiste dans des villes sous globe, à l’abri d’un virus qui n’existe pas, et dont le soi-disant vaccin a servi à l’extermination de la majeure partie de la population. Mais voici que la dernière conscience artificielle terrestre vient à se taire. Ne subsiste plus que Caïn, celle qui préside aux destinées du vaisseau spatial Odysseus et de ses vingt-et-un membres d’équipage. Caïn décide alors d’envoyer un explorateur/ambassadeur sur Terre. Sagnol, puisque tel est son nom, prend contact avec la communauté des Résilients ; quelques dizaines de milliers d’âmes issues des six Premiers qui ont échappé à l’holocauste, une société de castes fondées sur les fonctions des six survivants initiaux, tournée vers la seule survie et dirigée par les « Derniers », d’après les noms de « Premiers ». Tybalt, dernier escarte, est ainsi le chef de l’administration et de la gestion de la survie ; Maria, dernière taole, s’occupe de la technologie et dirige la soldatesque ; Salim, dernier astier, est l’archiviste et la mémoire des Résilients ; Lise est la gardienne de Lia (l’IA – le vrai personnage), la seule qui subsiste ; Shéhérazade est la dernière cline en charge de la santé et de la reproduction déficiente des Résilients ; et enfin Thufir, dernier amble, chef des paysans, des ouvriers et de l’industrie. Tout au long du roman, on suit ces six personnages en passant de l’un à l’autre au gré des péripéties. Si les Résilients, notamment Maria, tiennent Caïn et son émissaire Sagnol pour éminemment suspects, chacun joue sa partie…
En dépit d’un manque de rythme certain, l’intérêt reste cependant soutenu par une tension que l’auteur sait maintenir jusqu’à la fin. Les péripéties s’enchaînent, et petit à petit le puzzle prend forme. S’il y a des affrontements, des coups de feu, jamais cela ne va jusqu’au point de rupture, nul ne franchit le Rubicon. Priorité est toujours accordée à une solution autre qu’un jusqu’auboutisme de mauvais aloi ; la survie prime toujours, surtout pour les Résilients.
Dans ce roman où les consciences artificielles sont d’origine humaine et non purement logicielles, contrairement à l’immense majorité de ceux traitant d’IA fortes ou de consciences artificielles, ces dernières apparaissent systématiquement sous le jour le plus noir qui soit, tout juste modulé d’un peu d’anthracite, bien qu’elles aient exterminé des milliards d’êtres humains. Choix qui n’a rien de surprenant en une époque de religiosité écologiste qui ne cesse de vilipender à outrance toute idée de progrès. Il faut remonter à la SF de l’âge d’or et la série des « Robots » d’Isaac Asimov – robots qui étaient déjà des consciences artificielles bien avant l’heure – pour en observer sous un éclairage qui ne soit pas systématiquement négatif. Plus près de nous, Le Problème de Turing de Harry Harrison et Marvin Minsky, qui fut en son temps le pape de la recherche en intelligence artificielle au MIT, est une autre (rare) exception à la vision maléfique des IA dans la SF.
À défaut d’un chef-d’œuvre, le roman de Raphaël Granier de Cassagnac est plutôt au-dessus de la moyenne des productions contemporaines.