Connexion

Les critiques de Bifrost

Résolution

Résolution

LI-CAM
LA VOLTE
160pp - 8,00 €

Bifrost n° 97

Critique parue en janvier 2020 dans Bifrost n° 97

Le monde part à vau-l’eau. Des torrents de haine sont déversés chaque jour sur internet, renforçant les clivages, la détestation de l’autre. Wen est témoin de cette déliquescence sociétale. Déjà peu portée à la compagnie des autres, elle vit chez elle en recluse. Et pour exorciser ses inquiétudes devant ce naufrage, elle publie un blog, « Le monde selon Wen », qui obtient un certain succès et attire l’attention de décideurs. Ainsi lui propose-t-on de participer à un projet : une petite communauté, utopique, capable d’auto-subsister, de s’autogérer. Tout cela sous la direction, ou plutôt grâce aux conseils éclairés de Sun, une I.A. « nourrie » par Wen et sa vision hors normes de la société. Car il faut dire que Wen est un peu spéciale, incapable, pour ainsi dire, de développer des relations « normales » avec les autres humains. Elle ne parvient pas vraiment à se comporter comme il le faudrait. Ou alors, cela lui demande trop d’énergie, il lui faut surmonter trop de dégoût. En revanche, elle sait capter le sens du monde. En observant internet et ses multiples publications, elle découvre les grands courants irriguant nos sociétés, les grands flux les modifiant. Elle peut prévoir les mouvements de masse. Elle sait la destruction programmée de notre quotidien. Cette connaissance suffira-t-elle à créer un groupe autonome capable de survivre ? Cela lui donnera-t-elle les clefs pour apprendre à son I.A. À amoindrir les conflits, à devenir une figure tutélaire apte à rassurer et à guider le petit noyau d’humains embarqués dans cette aventure ?

Jeune collection née en septembre 2018 avec Un souvenir de Loti, de Philippe Curval, « Eutopia » compte à ce jour deux titres. Collection en devenir, donc, au rythme de parution encore incertain. D’autant que le pari est audacieux : trouver des textes de qualité traitant d’un thème aussi restreint… Résolution répond en partie au cahier des charges : la problématique centrale de cette novella semble bien être la création d’une utopie. Ou comment permettre à un petit nombre de personnes de subvenir à leurs besoins quotidiens, veiller à leur confort intellectuel et à leur bien-être psychologique. La nourriture et les contingences matérielles sont bien sûr évoquées, et de façon réaliste, mais Li-Cam privilégie un point capital de ce type d’expérience : la gestion des conflits. Car respecter les individualités en préservant la dynamique de groupe, en mettant en avant le bien commun, est un équilibre délicat à trouver. Et la présence d’une I.A. bienveillante, figure apparemment impartiale et pleine d’empathie, à l’écoute des doléances nombreuses des participants de cette expérience, les Adelphes (mot d’origine grecque véhiculant l’idée de fraternité), paraît une nécessité pour maintenir le lien entre tous.

Li-Cam en profite pour dresser un tableau, certes sans véritable originalité, et presque consensuel, de nos sociétés en déliquescence : la haine de l’autre érigée comme un titre de gloire, la lâcheté des attaques anonymes sur le Net. Et, pire encore, les tentatives de déstabilisation de masse orchestrées par des états ou des forces antagonistes. Une vision terriblement pessimiste de notre monde et de son avenir – au temps pour l’aspect utopique de l’ouvrage et les contingences de la collection, tempérés par cette note douloureuse ; impression renforcée par la figure centrale de Wen, présentée comme lucide devant cette catastrophe annoncée.

Au final, Résolution s’avère une lecture sinon renversante, du moins agréable car non exempte d’espoir et de confiance, sinon en l’humanité, en tout cas en l’humain.

Raphaël GAUDIN

Ça vient de paraître

Le Laboratoire de l'imaginaire

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
PayPlug