Avec Résonances, Pierre Bordage illustre l’adage qui veut qu’un auteur, en fin de compte, écrive toujours les mêmes histoires. Soit les aventures de l’erwack Sohinn, qu’une rencontre improbable va lancer dans un périple à travers toute la galaxie… Ça ne vous rappelle vraiment rien ?
Ici, tout commence au-dessus d’un astroport, sur DerEstap, banlieue lointaine de l’univers. La planète est régulièrement menacée par la chute d’étranges créatures énergétiques, improprement appelées dragons. Sohinn en est le meilleur chasseur. Une énième attaque, difficilement stoppée, a pourtant failli détruire toute la station. Sohinn s’en sort par miracle. Parmi les passagers survivants en transit, se trouve Eloya, la femme interdite, constamment voilée, que son peuple mène vers une union dont pourrait dépendre le sort de l’univers… Quand il croise son regard, malgré le voile, Sohinn n’a pas une seconde d’hésitation : il rejoindra cette femme, coûte que coûte, car il sait intuitivement que leurs deux destins sont liés. Tel est la voie de l’Accord, l’accomplissement suprême du peuple erwack.
Assez nombreux sont les connaisseurs de l’œuvre de Pierre Bordage pour qu’il nous faille trop, dans cette critique, développer la trame, par ailleurs assez simpliste. De fait, tout le livre recycle, en les réinventant, des situations, des figures déjà croisées ailleurs (de « Rohel » jusqu’à « La Fraternité du Panca »). L’habituelle confrontation avec le Grand Méchant intergalactique existe bien, tout comme l’incontournable élu, et les seconds couteaux hauts en couleur. Les deux héros se démarquent d’une façon notoire : Sohinn n’a littéralement pas de vie intérieure et semble déconnecté de toute attache sentimentale (ses parents sont vaguement évoqués mais aucune amoureuse, aucun ami, aucun enfant). De même pour Eloya, qui regarde ses parents disparaître un à un avec une relative indifférence. En contrechamp, Bordage décrit une société futuriste finalement pas si éloignée de la nôtre, où ont cours les mêmes réflexes de pensée, les mêmes rivalités, le même obscurantisme. Il est vrai que l’auteur a souvent pratiqué une SF à deux visages, le côté épique, sinon « exotique », étant contre-balancé par un aspect plus sombre, dominé par des considérations mitigées sur l’avenir.
Tout bien pesé, l’amateur d’aventures en a pour son compte, et c’est après tout ce qu’il demande à ce genre de roman efficace, la trajectoire de Sohinn alternant avec le récit d’Eloya, dans un ensemble qui s’enchaîne de manière cohérente.
N’insistons pas davantage sur la technique d’un auteur sûr de ses effets, qui procède avec cette écriture posée, imagée, précise, qu’on lui connaît. Il ne faut certes pas attendre de Résonances autre chose qu’un agréable moment de lecture, procuré par le savoir-faire certain de Pierre Bordage, lequel parvient tout de même, roman après roman, à réaffirmer sa singularité face au tout-venant du space opera militariste, bourré de pensées belliqueuses et de testostérone. Ce courant de SF reconduit souvent les vieux gestes agraires du colon de base, qui mesure sa puissance à l’étendue de ses possessions et à la force de ses adversaires, la morale du professionnel inflexible et sans états d’âme. Or, Résonances dit tout l’inverse. Ses héros se battent pour rejoindre leur but sans savoir si quelqu’un ou quelque chose les attend au bout du voyage. Résonances explore à fond l’expérience physique et mentale de la désorientation, de l’absence de contours, l’expérience métaphysique de la fatalité : l’idée, au fond, que l’homme n’a de prise sur rien.