Connexion

Les critiques de Bifrost

Reus, 2066

Reus, 2066

PABLO MARTIN SANCHEZ
ZULMA
23,00 €

Bifrost n° 115

Critique parue en juillet 2024 dans Bifrost n° 115

Pablo, vieux cabochard comme il se définit lui-même, a 89 ans. Il vit dans un asile psychiatrique, en Espagne, le Pere Mata, qui est devenu le refuge d’une douzaine de personnes après la Grande Panne ayant privé une bonne part de la planète d’énergie et de technologie, et le Pacte de la Grande Honte qui ne manquera pas de faire de son pays un no man’s land à l’issue d’une Troisième Guerre Mondiale qui s’est ouverte par la propagation volontaire d’un terrible virus. Mais ces douze résistent :; pas question pour eux de quitter leur pays. Retranchés derrière les portes de cet asile, ils repoussent les assauts sporadiques de pauvres hères, plus ou moins agressifs, à la recherche de quoi survivre. Leurs ressources sont limitées, et leur jardin souffre beaucoup d’une sécheresse qui a rendu les prévisions météorologiques inutiles. Pablo, qui se blesse à la cheville, se retrouve à l’infirmerie, sous les bons soins du docteur quinquagénaire Audrey. Celle-ci va lui apporter quelques caisses de livres, car elle sait qu’il a jadis été écrivain. Pablo commence à écrire son journal sur les pages blanches qui demeurent dans chacun de ces ouvrages, pour faire savoir aux générations futures comment on vivait après la Grande Panne. Du 24 juin au 30 septembre 2066, date ultime après laquelle son pays devra être abandonné, il va consigner la vie du camp retranché, ses réflexions de vieil homme, méditer sa relation amoureuse avec la doctoresse, refaire son trajet personnel au sein d’une Histoire qui a amené cette situation, composer un poème pour se souvenir des décimales du nombre pi…

Pablo Martín Sánchez poursuit ici la vie imaginaire de son double écrivain qu’il s’est créé dans deux autres romans, L’Anarchiste qui s’appelait comme moi (2012) et L’Instant décisif (2016). Cette fois-ci, il s’agit de sonder le futur à partir des peurs d’aujourd’hui et d’y projeter ce que pourrait être l’écriture une fois que le monde se sera résumé à une fonction essentielle : survivre. Dystopie qui n’est pas sans rappeler Malevil, de Robert Merle, bien sûr, ou encore La Route de Cormac McCarthy, ce roman n’est pas pour autant une énième variation sur un récit de fin du monde et sur la lutte de ses derniers survivants. Avec des règles multiples inspirées de l’OULIPO dont fait partie Sánchez, qui mêle au récit les écritures à contraintes (recettes, passages explicatifs, poésie, examen complet d’une situation ou d’un objet, etc.), ce livre est plus qu’un simple ouvroir où se mirent un écrivain et sa propre habileté. Par ses règles exposées et ses ressorts cachés mais sensibles, une étrangeté délicate se dégage de l’union entre l’écriture d’anticipation et un quotidien en quelque sorte émerveillé de littérature, en cette petite ville de Reus, peu connue, mais qui a vu se croiser des personnages célèbres. Dans cette autofiction anticipatrice, Sánchez réinvestit le banal de nos existences en faisant fleurir les angoisses de notre présent : n’hésitez pas à plonger dans cette chronique de nos épreuves annoncées !

Arnaud LAIMÉ

Ça vient de paraître

L’Éveil du Palazzo

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 115
PayPlug