À quoi rêvent les machines et autres intelligences artificielles? ? Peut-être aux individus qui ont permis leur existence. Cinq voix s’entremêlent dans ce roman de Louisa Hall, deuxième de son auteure. Il y a d’abord celle de la jeune Mary Bradford, qui, en l’an de grâce 1663, tient un journal où elle raconte son mariage arrangé avec un homme qu’elle n’aime pas et son périple vers l’Amérique. Mary, qui donnera trois siècles plus tard son nom au logiciel de discussion créé par Karl Dettmann, dont on lit les lettres à son épouse, elle qui aimerait tant que son mari dote le programme MARY d’une mémoire. MARY, logiciel à l’existence rendue possible par les travaux d’Alan Turing, que l’on découvre ici au travers de sa relation épistolaire avec la mère de son meilleur ami, Christopher Morcom, décédé trop tôt et à l’origine de la vocation du mathématicien. Dérivant de MARY, il y a MARY3, qui, en 2035, converse avec Gaby, fillette qui, comme bien d’autres gamines de son âge, se recroqueville sur elle-même après qu’on lui a retiré son babybot. Les conversations entre Gaby et MARY3 seront des pièces à conviction au cours du procès de Stephen R. Chinn, l’inventeur des babybots. Depuis sa prison, l’informaticien-roboticien rédige ses mémoires, raconte l’échec de son mariage et, globalement, de ses relations avec autrui. Et puis il y a ces machines, ces tas de babybots dans leurs entrepôts – qui rêvent.
Avec sa narration chorale, Rêves de machines rappelle le superbe Cartographie des nuages de David Mitchell (dont l’imposant L’Âme des horloges est paru ce printemps dernier). L’optique reste ici bien plus réduite, plus focalisée, et le résultat s’avère hélas moins convaincant. Le roman se lit bien, toutefois, Louisa Hall donne une voix bien particulière à chacun des protagonistes, et l’on retiendra notamment celles de Mary Bradford, petit bout de femme forte de caractère et sûrement née quelques siècles trop tôt, ou encore Alan Turing, fragile, peu sûr de lui, friand des post-scriptum à rallonge. Si les cinq protagonistes ont en commun d’entretenir un rapport plus ou moins proche avec la robotique, tous aussi contribuent à forger le futur tout en restant enracinés dans un passé dont ils ne parviennent pas à se défaire – le chiot de Mary Bradford, Christopher Morcom pour Turing, etc. Sur le papier, c’est intéressant – et ça l’est, indéniablement. Mais… passé la moitié du roman, l’ennui gagne, et ce n’est pas quelques changements de ton (telles les lettres de Karl Dettmann cédant la place à celles de son épouse, vingt ans plus tard) qui réveillent l’intérêt. À demeurer trop terre-à-terre, à ne montrer que des personnages au regard rivé au rétroviseur, Rêves de machines finit par laisser aussi indifférent qu’un ordinateur éteint.