Voici le second volume de la série Bohême, commencée par Les rives d'Antipolie. On retrouve un monde non seulement submergé par la mortelle Ecryme, mais encore et cette fois de plus en plus secoué par la guerre civile. La révolution, qui n'était présente dans Antipolie qu'à l'état de tracts et de discussions clandestines, se concrétise maintenant par des combats de rues et forces barricades de pavés. Moscou est mise à feu et à sang. Mais il y a pire : un fléau impensable s'est abattu sur les troupes affaiblies. L'Ecryme, le péril liquide qui jusqu'ici s'était cantonné aux portes de la cité, s'est incarnée en formes cruelles venues massacrer sans distinction politique.
Alors que le premier volume nous emmenait sur les pas de Louise Kechelev à la recherche de l'épave d'un dirigeable, quête qui lui fera lever une partie du voile sur le mystère de l'Ecryme, ce second opus est davantage une peinture globale, beaucoup moins centrée sur le personnage de Louise, qui réapparaît seulement en page 84.
Cette société, censée être une plongée dans le futur, se rapproche plutôt des uchronies de Michael Moorcock. La thématique de l'histoire s'inspire de celle du Golem, tirant sa puissance non pas du Talmud, mais des émotions humaines — celles d'enfants terrorisés ou d'artistes en pleine création. Une idée qui est d'ailleurs à rapprocher de celle développée dans Les seigneurs des sphères de Daniel Galouye (Denoël).
Ce cap indique un glissement de la série vers une veine « fantasyste », Mathieu Gaborit ayant déjà donné deux cycles de ce genre chez le même éditeur (Abyme et Les Crépusculaires). Le premier volet de la série, Les rives d'Antipolie était indéniablement mieux fourni en descriptions d'éléments technologiques baroques et en traditions dépaysantes (les procès-duels ou les castes de métiers). À présent, l'éloignement des personnages s'est doublé d'une atténuation de l'effet de surprise. Demeurent les batailles survolées de dirigeables géants en flammes, des visions qui vous resteront en tête un petit moment une fois la lecture achevée — et, en définitive, que demande-t-on de plus à un bon bouquin ?