Voilà un auteur qui a le sens du titre. Qu'on en juge : en 2008, Mnémos publiait Dehors les chiens, les infidèles, fantasy crépusculaire atypique centrée sur le fondamentalisme religieux. Roman ambitieux mais insatisfaisant, inabouti sans doute, mais qui confirmait la place de Maïa Mazaurette sur la liste des auteurs à suivre, place que lui avait valu la parution en 2004 de son premier roman, Le Pire est avenir. Et voici que Mnémos nous propose, avec Rien ne nous survivra (le pire est avenir) de (re)découvrir dans une version entièrement remaniée ce texte qui avait souffert d'une diffusion confidentielle.
Rien ne nous survivra dresse le portrait d'une jeunesse en révolte — littéralement : à Paris, comme dans les autres métropoles françaises et peut-être ailleurs, les jeunes ont pris les armes et tuent les vieux (entendre : tuent tout ce qui a l'air d'avoir plus de 25 ans). Face à l'inébranlable mainmise de ces vieux sur la société, confrontée à la certitude que rien ne lui sera possible avant que d'être vieille à son tour, guidée par d'obscurs « Théoriciens » qui ont su capitaliser le succès médiatique de quelques parricides, de quelques fusillades, une génération s'est soulevée, résolue à détruire puisqu'on ne lui laisse rien construire… Une génération entièrement consacrée à vivre au présent, à être, qui dans l'euphorie anarchique des premières heures refuse d'admettre qu'avec le temps, rythmé par l'ultimatum (109 jours avant l'inéluctable écrasement sous les bombes), le mouvement puisse dégénérer et s'organiser, empruntant les voies du pouvoir dans lesquelles tant d'autres « vieilles » révoltes, tant de révolutions se sont enlisées.
Si le réquisitoire contre le « jeunisme » et la gérontocratie — étayé par les « théories » qui ponctuent le texte — s'avère riche et pertinent, Maïa Mazaurette se montre moins à l'aise lorsqu'il s'agit de mettre en scène la révolte. Alternant de chapitre en chapitre les points de vue de deux snipers, Silence et l'Immortel, personnalités emblématiques parmi les jeunes, le récit souffre de quelques invraisemblances et d'ellipses qui, malgré le compte à rebours (un chapitre par jour jusqu'à l'expiration de l'ultimatum), nuisent au rythme et parfois à la clarté de l'ensemble… ce qu'on pardonnera d'autant plus aisément que l'auteur a l'intelligence de ne pas jouer la carte de la crédibilité au point de sombrer dans l'absurde. Sa guerre civile est avant tout un décor, moins un motif qu'un cadre où évoquer ce qui est peut-être le seul programme politique à la portée des héritiers de la génération 68, et développer l'autre versant du livre, la relation qui petit à petit naît et grandit entre les deux snipers.
Silence : froid, calculateur et cynique, l'un des piliers du mouvement, le meilleur sniper et le premier parricide politique, que tous connaissent sans pouvoir l'identifier. L'Immortel : tout en rage plus ou moins contenue, brûlant de connaître l'amour avant la fin de l'ultimatum. Deux individualistes, mus par la volonté de s'exclure de schémas sociaux aliénants, les manipulant et les fuyant tour à tour, chacun incarnant à sa manière l'esprit de la révolte juvénile. Quand dans un règlement de comptes Silence supprime la petite amie de l'Immortel, ce dernier va retourner sa rage de vivre et d'aimer vers celui qu'il accuse d'avoir irrémédiablement gâché ses derniers jours. Dès lors, une relation complexe se développe entre les deux jeunes gens, toute en approches et en esquives, en feintes et en provocations, oscillant sans cesse à la limite du sadomasochisme. Il s'agit pour l'Immortel de se dresser face à Silence, de surpasser le sniper et réduire l'individu à sa merci. Encore faudrait-il que le toujours anonyme Silence, l'idole, le fondateur, l'incarnation même du mouvement, accepte de lui offrir cette confrontation avant que la raison ne rende les armes face à l'obsession grandissante de son challenger.
Ainsi la relation entre les deux jeunes gens se fait-elle l'écho de la lutte en cours. Sclérose des mécanismes et dynamiques des sociétés occidentales, impasse des relations à sens unique, les deux faces du roman se répondant sans cesse, renvoyant l'âge mûr à son inertie mortifère et l'adolescence à ses incohérences, ses faiblesses et ses doutes autant qu'à son formidable potentiel.
Navigant à vue entre réalisme et fantastique, Rien ne nous survivra fonce dans son sujet bille en tête, porté par des personnages forts et convaincants. Si le résultat manque parfois de liant, si quelques angles mériteraient d'être arrondis, Maïa Mazaurette prouve qu'elle sait suffisamment composer avec ses faiblesses pour les faire oublier. Reste maintenant à les surmonter. Gageons qu'elle saura se donner les moyens de son ambition, et ne boudons pas notre plaisir : en dépit de quelques défauts (de jeunesse ?) et d'une mise en page pour le moins indigeste, Rien ne nous survivra (le pire est avenir) s'avère un roman grinçant et réjouissant. Avec un titre pareil, on pouvait s'en douter, non ?