Ne vous arrêtez pas à la couverture (peu inspirée), voilà un livre enthousiasmant qui donne au chroniqueur envie de commencer sa critique par une accroche du genre « Rihla est un formidable roman d'aventures à lire de toute urgence ! », « achetez ce livre ! » ou encore « quel plaisir de lecture ! ». Mais ne mettons pas le diplôme avant les examens et intéressons-nous à l'histoire qui nous est contée sur plus de 500 pages d'une densité rare… Nous sommes en l'an 890 de l'Hégire (le XVe siècle de l'ère chrétienne) et la reine de Castille n'a pas encore réussi à venir à bout du royaume de Grenade. Ce qui ne saurait tarder. En ces temps de guerres religieuses, où la croix des Catholiques risque fort de remplacer le croissant des Maures sur les hauteurs des cités du sud de l'Espagne, un savant arabe, Lisán, découvre des tablettes de plomb extrêmement anciennes. Celles-ci le mettent sur la piste d'un continent inconnu qui se trouverait à mi-chemin entre l'Europe et Cipango. Reste à armer un bateau capable de supporter ce long voyage et à prendre la mer pour naviguer bien au-delà des colonnes de Melquart, sur des mers que l'on dit sillonnées par des monstres. Au vu du contexte politique, c'est à Gênes que Lisán trouve un argentier assez fou pour financer cette aventure et la tenter avec lui. Mais Lisán a sans doute mal choisi son allié (ou pire, a été choisi par celui-ci). En effet, son armateur mamelouk, Baba, est en fait un ancien voïvode venu de Tara Romaneasca : un guerrier capable de parler aux démons. Ce voïvode fuit un passé où il a fait empaler des centaines de personnes, parfois innocentes. Mais ce n'est pas la fuite qui le pousse vers l'ouest, non, Baba est à la recherche d'un démon ancien, d'un djinn malfaisant qu'il se croit prédestiné à détruire…
Voyage au long cours, tempête, naufrage sur une île tropicale, attaques d'hommes-tigres et de démons, sacrifices humains, champignons hallucinogènes sacrés, entités datant de l'époque du Minotaure et de Talos, voïvode issu de la même lignée que Vlad Dracul… Avec ce second roman en solo après La Folie de dieu, Juan Miguel Aguilera confirme son talent. Mieux, il a progressé dans quasiment tous les compartiments de l'écriture romanesque et s'est permis de réécrire le voyage de Christophe Colomb en y introduisant de la magie, et en remplaçant le navigateur italien par un arabe s'alliant à un voïvode roumain. Tout comme dans La Folie de dieu, il y a dans cet ouvrage une conscience méditerranéenne incontournable, mais aussi un sens du voyage et des saveurs qui rappelle les meilleurs romans d'aventures : ceux de Jack London, Joseph Conrad et Schoendorfer (principalement L'Adieu au roi, son chef-d'œuvre méconnu). À lire, à offrir, à faire découvrir, car Rihla est un livre-plaisir, un livre rare.