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Les critiques de Bifrost

Rite de passage

Rite de passage

Alexei PANSHIN
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
240pp - 7,90 €

Bifrost n° 114

Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114

L’hypothèse selon laquelle la survie de l’espèce humaine dépendrait d’un exode vers le cosmos a été explorée sous de multiples variantes dans la SF. Notamment à travers le thème de l’arche spatiale ou du vaisseau géné- rationnel, transposition dans l’espace du mythe de Noé. Autrement dit, un vaisseau où pourraient prospérer plusieurs générations d’humains, en reproduisant un écosystème copié sur celui de la Terre, de façon à pouvoir voyager sur des distances gigantesques à des vitesses qui ne peuvent dépasser celle de la lumière. Ce postulat a fait l’objet de développements mémorables (chez Brunner, Simak, Le Guin, Aldiss, Robinson…), notamment dans la façon de restituer la dimension tragique du voyage pour les générations dites « intermédiaires » tout en analysant l’impact sur leur psyché et leur culture.

De ce point de vue, le texte de Panshin se démarque nettement. Il ne s’intéresse ni à l’origine, ni à la finalité de l’exode. Si l’abandon du berceau terrestre a été provoqué par quelque catastrophe, le voyage stellaire qui s’ensuit semble plus choisi que subi. Après avoir essaimé sur une centaine de planètes, les vaisseaux sont devenus des sortes d’immenses oiseaux migrateurs. Leurs occupants se pensent donc plus comme des nomades que comme des voyageurs. Des nomades privilégiés et jaloux de leurs privilèges : dans cette civilisation spatiale en gestation, les vaisseaux sont réservés à une minorité aisée, riche de son héritage culturel et de sa technologie, tandis que les colonies sont maintenues volontairement à un niveau de développement très inférieur.

Le thème de l’arche est une manière pour Panshin de poser des questions intéressantes transposables à son époque (le livre est paru en VO en 1968) comme à la nôtre. Typiquement : comment gérer la ressource, entendue sous son double sens de ressource humaine, et énergétique ou matérielle, dans un environnement aussi contraint ? Dans Rite de passage, la réponse relève d’un mélange de planification et d’autoritarisme brutal. Sous couvert d’échanges commerciaux, les colonies sont littéralement exploitées pour leurs matières premières, indispensables au fonctionnement des vaisseaux. Toute évolution jugée trop dangereuse, toute tentative de remise en cause de l’ordre établi est sévèrement punie, y compris par l’annihilation. Sur les vaisseaux, la population est stabilisée grâce à une stricte régulation des naissances (et gare aux contrevenants !) mais aussi par le biais de l’Épreuve, qui marque l’entrée dans l’âge adulte et les responsabilités afférentes. À 14 ans, les jeunes sont débarqués sur l’une des colonies où ils sont livrés à eux-mêmes pendant 30 jours, nombreux étant ceux qui n’en reviennent pas… C’est à cette étape cruciale de sa vie que se prépare l’héroïne du roman, dont l’apprentissage dans et en dehors du vaisseau, accompli dans une suite de péripéties plus ou moins palpitantes, n’ira pas sans quelques désillusions, qu’un lecteur chevronné n’aura aucun mal à anticiper.

Si le sous-texte politique de l’ensemble n’a rien perdu de sa pertinence et ouvre des pistes de réflexion stimulantes, la nature des principaux protagonistes et la tonalité générale réservent cet ouvrage plutôt à un jeune public peu familiarisé avec la SF, à condition de parvenir à surmonter son côté délibérément anti-spectaculaire.

Sam LERMITE

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