Norman SPINRAD
ROBERT LAFFONT
20,90 €
Critique parue en janvier 2013 dans Bifrost n° 69
Au début du XXIe siècle, la multinationale MUSIK règne sans partage sur l’industrie musicale et le show-biz, où elle tente d’imposer ses Personnalités Artificielles, des stars virtuelles créées de toutes pièces pour chanter des tubes fabriqués sur ordinateur. Mais voilà, les Lady Leather et autres Mucho Muchacho ne durent pas, se fanent vite, le public se lasse, bref, elles manquent un peu de personnalité, justement. MUSIK charge alors Gloriana O’Toole, la Grand-Mère du Rock’n’Roll, une sorte de Janis Joplin rescapée de l’Age d’Or du rock (entendez, les années soixante) de créer une « vraie » star virtuelle, qui ait un peu plus de chien et de faveurs du public.
Gloriana sait qu’elle vend son âme au Diable, mais elle n’a pas le choix. Elle s’adjoint Bobby Rubin, un bidouilleur d’images surdoué, et Sally Genaro, une grosse boutonneuse sexuellement frustrée, mais géniale dans les manips sonores. Ensemble, ils créent Red Jack, un rocker qui cartonne, à la grande joie de MUSIK, mais se trouve parasité par le Front de Libération de la Réalité (genre de mix entre les Situationnistes de 1968 et le mouvement Anonymous) et se met à délivrer des messages révolutionnaires. Mauvais pour le bizness ! Notre trio de bidouilleurs rockers met alors au point Cyborg Sally, qui reflète un peu trop la personnalité mal baisée de Sally Genaro. Pendant ce temps, dans les rues, on trafique du câble (des drogues virtuelles) dont le zap, qui permet de donner vie à tous ses fantasmes…
On a parfois comparé Rock Machine à Jack Barron et l’éternité (1971) pour son côté critique subversive des médias et des multinationales qui les manipulent. Mais là où Jack Barron frappait fort et juste et peut encore se relire quarante ans après, Rock Machine a quand même pris un bon coup de vieux. Ce qui fait la force de ce roman, c’est son départ sur les chapeaux de roues, comme un bon album de metal — mais ça commence à s’essouffler vers le milieu, et la fin est décevante par rapport aux enjeux brassés. C’est également le côté prémonitoire où Spinrad a vu juste en imaginant des stars virtuelles — qui existent à présent au Japon — et de la musique fabriquée de façon industrielle, sur des algorithmes plus commerciaux que musicaux. C’est enfin l’humour de l’ensemble et la truculence de ses personnages — on se souvient longtemps de Gloriana O’Toole, une grand-mère comme tout rocker rêve d’en avoir !
En revanche, tout l’aspect cyber et informatique a terriblement vieilli et fait sourire à présent — c’est hélas inévitable dans ce genre d’anticipation à court terme —, et les références à « l’Age d’Or » (années soixante et soixante-dix) sont trop ciblées pour un jeune lecteur d’aujourd’hui qui aurait du mal à y retrouver ses repères culturels. Un bon divertissement, mais trop ancré dans son époque, à réserver plutôt aux nostalgiques.