L’Irlande, ses mythes, sa magie, ses mystères. Trois générations : 1913, 1930, fin des années 80. Trois destins de femmes, Emily Desmond, Jessica Caldwell et Enye MacColl, unies par un terrible secret. Le roman débute avec la novella « Craigdarragh » et le destin de la jeune Emily Desmond. Pour cette entrée en matière, Ian McDonald a fait le choix de la forme épistolaire. La nouvelle est fragmentée par les points de vue des différents protagonistes, au travers de lettres, coupures de presse, extraits de journaux intimes… Début du XXe siècle, le Dr Edward Garret Desmond, astro-nome, croit découvrir dans le passage de la comète Bell des extraterrestres en provenance d’Altaïr. Malgré l’opposition de la haute société scientifique qui le ridiculise, et porté par sa croyance d’avoir fait la plus grande découverte de tous les temps, Desmond va tout mettre en œuvre pour communiquer avec le vaisseau, au point de dilapider la fortune familiale. Sa femme, Caroline, riche héritière et maîtresse de maison, ne vit que pour ses poèmes. Sa fille, Emily, jeune adolescente en pleine puberté, délaissée par ses parents, se détache peu à peu de la réalité au contact du petit peuple, de la Chasse sauvage, des léprechauns, des fées grégaires et autres créatures. Mythe ? Réalité ? Fantasme ? Une narration de l’isolement et de la perdition. La destinée d’Emily est au cœur du roman. On retrouve ici une référence à l’affaire des fées de Cottingley et aux articles de Sir Arthur Conan Doyle dans sa veine spiritualiste. La deuxième nouvelle, « Le Front des mythes », relate l’histoire de Jessica, jeune mythomane dublinoise pleine d’ironie. Elle est la fille cachée d’Emily. En quête d’identité, entourée de son père adoptif, de son psychanalyste et de deux mystérieux compères buveurs de thé, nous la suivrons à la recherche de ses origines, entre Dublin et les terres de Craigdarragh. Enfin, le dernier texte, « Shekinah », est plus proche de l’esprit manga. Nous plongeons dans le Dublin de la fin des années 80, aux côtés de Enye MacColl. Publicitaire le jour, elle s’arme de ses katanas la nuit et se shoote à coup de « doses de réalité » pour combattre les incarnations de créatures mythiques qu’elle est la seule à voir. Son combat devra passer par l’apprentissage de la voie divine pour aboutir. Il y a une forme d’espièglerie et de jubilation dans l’écriture de McDonald tant il construit, déconstruit et reconstruit les genres qu’il aborde. Le fantastique, la fantasy, la SF/manga. Une écriture tout en rupture. Un exercice de style plein de maîtrise pour une œuvre de jeunesse mais aussi une analyse critique des mondes imaginaires décrits par ses prédécesseurs à l’approche plus classique. D’aucuns trouveront la manœuvre un peu arrogante, narcissique et futile, d’autres se délecteront de cette prétention affichée avec beaucoup d’habileté et de savoir-faire, déjà. Car oui, avec cette œuvre, Ian McDonald a pris sa place. Mais bien plus encore que cette méta-écriture, il y a avant tout une histoire riche, une œuvre exigeante, une intrigue fine et complexe, des personnages troublants et puissants qui marquent votre imaginaire. C’est aussi un hommage poignant et objectif à l’Irlande, à son histoire, à sa construction. Le fruit d’une confrontation sublimée entre mythe et réalité. Comme une sorte d’Irish crossroads. Ian McDonald est un conteur exceptionnel et nous livre ici un livre rare et indispensable à tout fan qui se respecte. Fin de la propagande !
[Lire aussi la chronique d'Olivier Legendre dans le Bifrost n° 54]