Il suffit de consulter des bases de données comme Noosfere et BDFI pour voir que les romans fondateurs de Wells ont fait l’objet chez nous de quantité d’éditions et sont toujours disponibles, sous forme de livres individuels, d’intégrales, d’omnibus, etc. Quel est alors l’intérêt de cette nouvelle édition ? La beauté de l’objet ? Elle est indéniable : reliure sobre mais élégante, papier de qualité, typographie lisible et soignée — une réussite totale. La préface de Frédéric Regard, professeur de littérature anglaise à Paris Sorbonne ? Elle a le mérite de donner une vision claire, synthétique, de l’œuvre de Wells et de son importance historique ; on aurait aimé qu’elle développe certains points (les rapports entre Wells et la SF américaine, par exemple), mais la place manquait sans doute.
Non, le principal intérêt de cette édition — ce qui la rend indispensable, en fait — c’est qu’elle bénéficie d’une nouvelle traduction qui s’appuie sur les versions définitives établies par l’université d’Oxford, fruit de plusieurs décennies de travail.
On sait — voir notamment l’indispensable H.G. Wells, parcours d’une œuvre de Joseph Altairac (Encrage, 1998) — que Wells a remanié certains de ses livres à plusieurs reprises, tout en en laissant circuler des éditions parfois contradictoires. Tâche délicate, donc, que de déterminer quelle est la version voulue par l’auteur. L’édition Oxford — et donc celle-ci — ne fait pas l’impasse sur cette difficulté et s’efforce d’expliquer les choix éditoriaux qui ont été les siens.
La tâche se complique encore quand on aborde les traductions françaises. Henry D. Davray, principal traducteur (seul ou en collaboration) des « scientific romances » de Wells pour Le Mercure de France, est très vite entré en contact avec l’écrivain anglais et lui a demandé des modifications de son texte pour le rendre plus accessible aux lecteurs français. Ceci est particulièrement sensible pour L’Île du docteur Moreau, d’autant que Wells a conservé certaines de ces altérations — mais pas toutes — pour des éditions ultérieures de ce roman en langue anglaise. Sans compter qu’entre la publication en feuilleton de La Machine à voyager dans le temps (nouveau titre pour cette édition), de La Guerre des mondes et de L’Homme invisible, et leurs éditions en volume, puis parfois leurs rééditions, les variantes ne manquent pas.
Or, il semble que les traductions de Davray aient été peu ou prou conservées telles quelles durant plus d’un siècle. Un travail de réfection s’imposait donc. Pour l’effectuer, les éditions Gallmeister ont fait appel à Pierre Bondil.Inconnu du public de SF, c’est une « pointure » de la traduction de polar qui s’est frotté aux plus grands noms du genre (Dashiell Hammett, Jim Thompson, Tony Hillerman...) et qui avouait il y a une dizaine d’années : « Et je reste ébahi (là, je n’aurais même pas essayé [de traduire], trop dur pour moi) devant la pure splendeur, en anglais, du texte de H.G. Wells, The War of the Worlds »(1). Remercions-le d’avoir franchi l’obstacle. Car, non content de restituer l’intégralité du texte lorsque c’était nécessaire, il respecte toutes les nuances de l’écriture wellsienne là où Davray avait tendance à lisser et à se perdre en fioritures et en affèteries. Pour prendre un exemple : dans La Guerre des mondes, le narrateur croise lors de son errance quantité de représentants de diverses classes de la société anglaise, chacun avec sa manière de s’exprimer — des sapeurs, un artilleur, un vicaire, etc. Bondil s’efforce à chaque fois de trouver un équivalent français à leur parler, alors que, sous la plume de Davray, on a dans tous les cas l’impression de lire des conversations de salon.
Pour résumer, un achat essentiel. En espérant un prochain volume reprenant Les Premiers Hommes dans la Lune et une sélection de nouvelles. Il y a du grain à moudre.