Londres, XXIIe siècle. La société a fait un grand bond en arrière, revenant à la féodalité. Cruauté et violence sont les principaux moyens de gouverner et de maintenir l'ordre.
La capitale britannique est ravagée, le gouvernement et l'Etat l'ont désertée. Ses ruines sont tombées aux mains de deux chefs de guerre, en lutte pour le contrôle total de la ville. Val Volson, qui règne sur la majeure partie de la cité, décide de faire comme les monarchies d'Ancien régime. Il veut donner sa fille Signy en mariage à son rival, Connor. Il espère ainsi que cette union politique et charnelle mettra fin au conflit qui l'oppose à son rival. C'est donc sans aucune joie que Signy, véritable garçon manqué, accepte ce mariage. La cérémonie sera fastueuse, et marquée par un étrange signe des dieux. Stratège ou félon, Connor entend bien profiter de ce mariage pour faire main basse sur Londres. Naïf ou trop confiant, Val n'y verra que du feu. C'est donc dans la surprise que Connor lance son raid contre les Volson. Il réussit à tuer Val, ainsi que deux de ses trois fils. Seul Siggy, le jumeau de Signy, échappera à l'appétit d'un monstre mi-homme mi-cochon, le Pourceau…
Etrange créature que ce Pourceau. Il est un des nombreux Mi-Hommes, chimères mi-humaines et mi-animales qui habitent la banlieue londonienne. Ces êtres, issus de lointaines expérimentations génétiques, sont toujours méprisés et parfois lynchés. Mais c'est pourtant l'un d'entre eux qui recueillera et soignera Siggy. Le prince se comporte d'abord comme une peste avec celle qui l'a recueilli et remis sur pied. Il prendra ensuite conscience de l'humanité et de la profonde misère dans laquelle vivent les Mi-Hommes. Ivre de son nouveau pouvoir, le maître incontesté de Londres va vouloir étendre son royaume au-delà de la seule capitale. Il vise donc les terres des Mi-Hommes. La conquête et l'occupation des terres vont devenir le prétexte à la plus extrême brutalité contre les Mi-Hommes. Ces derniers vont alors tenter de renverser le tyran en s'alliant avec les humains. Qui, mieux que Siggy, pourrait les aider ?
Quant à Signy, mutilée par son époux et incapable de se déplacer, elle ne cesse de ruminer sa vengeance. Elle ne veut qu'une seule chose : la mort du tyran. Elle est prête à tout et aux pires sacrifices pour étancher sa soif de vengeance. Mais comment faire, alors qu'elle est emprisonnée dans un donjon dont elle ne peut s'extraire ? Il ne lui reste plus qu'à s'appuyer sur son chat, qui est bien plus qu'un simple félin…
Disons-le tout net, cette fantasy post-apocalyptique, initialement publiée dans une collection jeunesse, est un excellent cru qui vaut très largement ses 480 pages. On peste régulièrement dans ces colonnes contre les longueurs et les tirages à la ligne, mais là, rien à dire. L'écriture, d'abord lente mais fastueuse, bascule ensuite dans une nervosité qui colle parfaitement aux fracas des batailles. Loin de tout manichéisme, Burgess travaille soigneusement la psychologie de ses personnages. Il en fait des êtres profondément humains par leur ambivalence et l'ivresse de leur passion vengeresse ou conquérante. L'univers est lui aussi remarquablement travaillé, et ne se contente pas d'être un simple décor assurant l'unité de lieu. Bien sûr, les amateurs de hard SF purs et durs trouveront toujours à redire sur la génétique des Mi-Hommes. Mais qu'importe. On pense même par moment à Theodore Sturgeon, quand les Mi-Hommes et les humains révèlent à l'Autre sa part d'humanité. La quatrième de couverture évoque le bruit, la fureur, les larmes et le sang. Je ne peux manquer d'y ajouter l'ivresse des passions, qui donne parfois au roman des accents tragiques dignes de Sophocle ou Shakespeare. Les protagonistes sont emportés par la force des passions, et leurs vies se fracassent sur l'autel d'un destin qui les dépasse.
Melvin Burgess, auteur pour enfants et ados, s'est fait une spécialité d'aborder des thèmes assez difficiles à l'intention de son jeune public. Qu'il traite de sexualité ou de toxicomanie, il en montre la réalité sans fard, et sans moraliser. Ici, c'est la violence, à coup de massacres et de tortures qui pourra choquer les plus jeunes. Recommandé à partir de 15 ans, ce roman est une parfaite réussite. Saluons d'ailleurs la volonté de Folio « SF » de le sortir dans une collection tout public. Aussi bien destiné aux adolescents qu'à leurs parents, cette saga est le genre de livre idéal pour la plage. De l'aventure et du dépaysement à haute dose, mais d'une qualité aux antipodes de la littérature de gare.
Faut-il donc que ce livre ait un défaut ? Il est bien connu que Bifrost est toujours à la recherche de la petite bête. Celle-ci est vraiment toute petite, voire nanoscopique. On aurait juste aimé avoir les références de la fameuse saga islandaise dont ce livre est inspiré. Passez donc outre ce défaut, parce qu'il fallait bien en trouver un. Achetez-le pour vous, vos enfants, vos neveux, les adolescents et lecteurs de votre entourage. Il trouvera sa place dans toute excellente bibliothèque, aux côtés d'À la croisée des mondes de Philip Pullman. De jeunesse ou pas, peu importe la collection pourvu qu'on ait de la bonne littérature. Croyez bien qu'avec Rouge sang, Melvin Burgess ne vous décevra pas !