Avant « Le Seigneur des Anneaux », avant Le Hobbit, il y avait Roverandom. Ce conte au titre intraduisible — mot-valise évoquant le vagabondage, rover, et le hasard, random — raconte l’histoire d’un chiot, Rover, qui a l’idée saugrenue de mordre un passant, sans savoir qu’il s’agit en réalité d’un sorcier, nommé Artaxerxès. Vexé, ce dernier transforme Rover en jouet, qui finit par être récupéré par un petit garçon. Rover découvre néanmoins qu’il peut s’animer à la nuit tombée. Voulant retrouver sa taille initiale, il se lance à l’aventure, et rencontre bientôt un mage des sables qui l’envoie, avec l’aide d’un goéland nommé Cendré, sur la Lune. Là, il rencontre un autre magicien et son chien, nommé lui aussi Rover — et le chiot de se retrouver rebaptisé Roverandom. Les aventures du chiot se poursuivront, mettant en scène un dragon lunaire, un retour sur Terre et une plongée dans les océans à la recherche d’Artaxerxès…
Conçu en 1925 par Tolkien à l’intention de ses enfants, notamment son deuxième fils, inconsolable d’avoir égaré à la plage une figurine de chien, rédigé en 1927, Roverandom n’a été proposé à la publication par son auteur qu’après Le Hobbit, et, Tolkien s’étant ensuite consacré au « Seigneur des Anneaux » et son « Légendaire », n’est finalement sorti en volume qu’en 1998, vingt-cinq ans après le décès du romancier.
Ce conte contient en germe bon nombre d’éléments qui resurgiront dans les œuvres ultérieures de Tolkien. Des êtres de petite taille, des magiciens, des dragons, des voyages, des terres lointaines… Le tout avec humour et jeux de mots plus ou moins traduisibles. Roverandom présente d’abord un intérêt documentaire pour tout amateur de Tolkien, qui pourra retracer une part de la genèse de la Terre du Milieu dans l’univers fantasque mis en place, où se mêlent joyeusement diverses mythologies et les bases du « Légendaire ». Mais pas seulement : à l’inverse des Contes et légendes perdus ou inachevés, Roverandom est un récit fini, vif, des plus plaisant à lire, et qui ne s’adresse pas seulement aux exégètes. Le court volume est enrichi par une intéressante préface, une foule de notes explicitant les nombreux jeux de mots et les références émaillant le conte, ainsi que par une demi-douzaine d’illustrations — il ne faut pas oublier que Tolkien était un excellent dessinateur, doté d’un style bien à lui.
En somme, Roverandom est un petit bijou plein de fantaisie. (Espérons seulement que Peter Jackson n’aura pas l’idée d’adapter ce conte en une nonalogie cinématographique.)