1596. La République catholique indépendante proclamée à Marseille par Charles de Casaulx cinq ans auparavant vit ses dernières heures. Issue des désordres provoqués par l’avènement d’Henri IV, elle ne peut plus guère compter que sur le soutien espagnol pour résister à la reconquête royale. Enfermés entre les murs de la cité phocéenne, Victoire, Gabriel, Axelle et Armand partagent le destin de ses habitants. Deux hommes et deux femmes, vétérans désabusés des guerres de Religion. Un quatuor qui se cherche désormais un avenir ou des raisons d’en finir. Victoire, chef de la guilde secrète des assassins, a fait et défait le pouvoir pendant des décennies. Au-dessus de la mêlée, mais toujours dans le sens de ses intérêts. Désormais âgée, elle envisage de se retirer sur un ultime coup d’éclat. En ce qui concerne Gabriel, pas question de prendre sa retraite, même si les années sont un fardeau pour sa carcasse éprouvée par les combats successifs. Rallié à la foi catholique, l’ancien huguenot espère toujours racheter sa lâcheté passée en sacrifiant sa vie pour une cause dont les partisans le méprisent. Tous deux fréquentent La Roue de la Fortune, l’auberge tenue par Axelle et son mari, ex-mercenaires en quête d’un quotidien plus apaisé après la violence des combats. Un choix difficile à accepter pour l’ancienne patronne de la compagnie du Chariot. Quant à Armand, il compte sur le silence de tous, au moins le temps de trouver un navire pour quitter le royaume avec Roland, son amant, et ainsi échapper aux convoitises et aux craintes suscitées par leur don pour la magie.
On a peine à imaginer la violence des guerres de Religion. Une férocité semblable à celle de la Terreur, pour ne prendre que cet exemple dans la longue liste des conflits fratricides. Près de quarante années de guerre larvée, entrecoupée de trêves et de massacres attisés par le fanatisme religieux, les luttes entre factions et le jeu dangereux des puissances étrangères, notamment les Habsbourg. Avec Royaume de vent et de colères, Jean-Laurent Socorro nous en livre un aperçu documenté, se focalisant sur un épisode méconnu : la République de Marseille. La ville méditerranéenne et l’Histoire servent de décor au drame tissé par quatre, voire cinq destins individuels dont l’auteur se plaît à nous dévoiler le caractère ambivalent et les renoncements. À grand renfort de flashbacks et d’ellipses, d’une écriture incisive, Jean-Laurent Socorro nous brosse ainsi quatre portraits dotés d’une réelle épaisseur psychologique, se montrant à la fois sensible et crédible, tout en évitant l’écueil de la sensiblerie. Parmi ceux-ci, on retiendra surtout Axelle, dont le caractère n’est pas sans rappeler celui de Cendres de Mary Gentle, en beaucoup moins agaçant tout de même, mais également Gabin sans « aime », le bonus poignant de cet ouvrage à bien des égards merveilleux, même si la fantasy proprement dite se trouve réduite à la portion congrue.
Avec ce premier roman, Jean-Laurent Socorro démontre, s’il est encore nécessaire de le prouver, que l’on peut violer l’Histoire pour lui faire de beaux enfants. Pour ce crime, nous lui souhaitons de toucher un lectorat nombreux. Il le mérite.