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Les critiques de Bifrost

Le Royaume en péril

Thomas D. LEE, Thomas D. LEE
CHRISTIAN BOURGOIS
688pp - 27,00 €

Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119

Être chevalier à la cour du roi Arthur implique des devoirs, même après la mort. Keu le sait bien : à chaque fois que le royaume est en danger, il sort de sous son arbre, armé de pied en cap, prêt à défendre la veuve et l’orphelin. Mais cette fois, la situation est beaucoup moins claire que lors de la bataille d’Azincourt ou du débarquement en Normandie. Aucune indication pour lui montrer la direction à suivre. Pris dans le feu de l’action, Keu aide une jeune femme responsable de l’explosion d’une plateforme d’extraction. Cela lui a paru le bon choix, sur le moment. Or, suite à cette décision, il se retrouve chevalier servant d’une écoterroriste féministe. Très loin de son univers. Et de ses anciens comparses. Lancelot, par exemple, désormais homosexuel (tant pis pour la reine Guenièvre) ayant choisi le camp du plus fort. C’est-à-dire celui de l’argent, représenté ici par le démoniaque Christopher Marlowe, contemporain de Shakespeare. Et Arthur, dont la présence est requise pour sauver le monde (rien que ça), à l’opposé total de la figure bienveillante passée à la postérité. Un gros lourd, que ce Arthur, sûr de son bon droit, habitué à ce qu’on lui obéisse et pressé de parvenir à ses fins (toute ressemblance avec un actuel président des États-Unis, etc., etc.). On l’aura compris, l’auteur s’amuse avec les légendes qui sont ancrées dans l’imaginaire européen depuis des siècles, les adaptant à la société et aux préoccupations actuelles.

Ici, le monde s’apprête à basculer ; l’épuisement tant redouté des ressources est pour maintenant ou presque. La nature est dans un état lamentable : quasiment plus d’oiseaux ou d’insectes, des cours d’eau rachitiques et pollués. La fin est proche, et chacun tente de sauver ses billes et sa peau. Avec un coup d’avance pour les plus fortunés, aux manettes depuis des lustres. Quant aux anciens du monde arthurien, c’est à eux qu’incombera la charge de faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Mais les humains (les humaines, surtout) ne vont pas être en reste : l’auteur met en scène des personnages qui se posent la question de la prise de responsabilité. Doit-on toujours déléguer à quelqu’un d’autre (un héros, par exemple) son sort, surtout quand on est une femme ? Quand bien même cela rassure et correspond aux habitudes, ne faut-il pas mieux se prendre en main et affronter soi-même les dangers ? Quitte à se tromper. Quitte à y laisser la vie. Après tout, n’est-ce pas le cours légitime des choses ?

Dans ce roman bien plus lisible que ne l’est sa couverture, Thomas D. Lee mêle non sans finesse mythes et inquiétudes contemporaines. Un récit très prenant, même, résolument moderne dans son traitement malgré un sujet a priori tourné vers le passé, et qui s’inscrit dans une lignée abondante (on pense à Nicola Griffith) susceptible de donner une vie nouvelle à ces merveilleuses histoires et de prolonger leur rayonnement pour des décennies encore.

 

Raphaël GAUDIN

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