Dominique DEFERT, Stephen KING
LIVRE DE POCHE
832pp - 8,90 €
Critique parue en octobre 2015 dans Bifrost n° 80
« Chantier aura sûrement l’estime de la critique, mais Second Coming, c’est Peyton Place avec des vampires ! C’est captivant et ça peut faire un best-seller. » — Bill Thomson, éditeur de Stephen King dans la préface de l’auteur à Salem.
Chantier devra attendre 1981 pour être publié sous le pseudonyme de Richard Bachman, tandis que Second Coming deviendra ’Salem’s Lot, où l’apostrophe rappelle que « Salem » est le diminutif de Jérusalem, bourgade du Maine inventée de toutes pièces par Stephen King. Cette version primitive du « laboratoire » Castle Rock s’inspire en partie du roman à succès de Grace Metalious, Peyton Place, qui fut adapté au cinéma puis à la télévision pour une série de… 514 épisodes ! A Peyton Place, petite ville paisible de Nouvelle-Angleterre, les apparences sont trompeuses et les secrets parfois lourds à porter. Un vrai terrain de jeu pour des générations à venir de scénaristes qui donna à King l’une des plus brillantes idées de sa carrière.
« C’est amusant de voir les monstres au cinéma, mais l’idée qu’ils existent effectivement et qu’ils rôdent autour de nous, ça n’est pas drôle du tout. » — Salem
L’originalité de Salem réside dans l’utilisation du vampire en milieu moderne, du moins pour l’époque puisque qu’il s’agit de 1975, année sans doute préhistorique aux yeux de tous les jeunes qui voient en leur smartphone l’extension naturelle de leur personne. Néanmoins, voici enfin la créature magnifiée par Bram Stoker, cette fois dépouillée de ses oripeaux gothiques, partant à l’assaut d’un monde où l’électricité et le pétrole sont maîtres (même si le téléphone demeure un ustensile filaire). L’objectif de Stephen King reste bien entendu de terrifier son lecteur en perturbant la réalité de son quotidien à l’aide une créature issue de son tarot de base (Vampire, Loup-garou et Chose sans nom, tels que définis dans l’excellent Anatomie de l’horreur).
« Le gens de Salem sont opulents et pleins de vie, des gens qui ont en eux la hargne et la noirceur si vitale pour un… il n’y a pas de terme dans votre langue pour ça… » ibid.
Si Stephen King ouvre une voie royale à Anne Rice et Charlaine Harris, il ne faut pas perdre de vue la satire sociale qui sous-tend son œuvre. Singularité remarquable, erreur de jeunesse ou les deux, Salem contient quatre projections distinctes et particulièrement transparentes de l’auteur dans ses personnages. Eclairantes à plus d’un titre sur la nature et les intentions du maître, elles frapperont davantage le relecteur assidu que le novice, mais elles frapperont fort.
Salem n’a pas pris une ride et se permettra même le luxe d’offrir aux plus aguerris lecteurs du XXIe siècle de véritables frissons glacés assortis d’images résiduelles inquiétantes qui ne manqueront pas de se manifester dans son esprit juste avant de dormir. Un nouveau classique.