Les éditions Moisson rouge sont une maison indépendante qui se consacre à « la littérature noire qu'elle soit critique sociale, peinture des déroutes et des folies de l'époque, fresque urbaine, roman noir, fantastique et trans-genre ». Du moins, c'est ce qu'annonce le site web de l'éditeur, et on ne peut qu'être attiré par cette réjouissante déclaration d'intention. Parmi les premiers titres parus figure une réédition qui concerne plus particulièrement le genre que nous chérissons à Bifrost. Il s'agit de Sang futur de Kriss Vila. Les lecteurs de notre n°52 auront immédiatement reconnu sous le pseudonyme Christian Vilà, un écrivain habitué à la S-F, et dont on a pu lire, à cette occasion, une interview. Pour les autres (maudits soient-ils), voici une séance de rattrapage.
« Allo ! Police-Secours ?
Vous n'y êtes pas, mon vieux. Ici, c'est la brigade criminelle.
Alors parfait, ricanerait Dickkie dans le micro du téléphone. Je viens justement de buter un de vos collègues. Une stupe. »
Dans les années 1970, l'Hexagone a connu une vague de science-fiction politique, engagée, à faire rougir de honte l'ultragauche la plus radicale, et à faire blêmir la robe du plus retors procureur de la République. À posteriori, littérairement parlant, certains ont jugé que tout cela représentait beaucoup de bruit pour rien, et on ne leur donne pas forcément tort, même si ce courant a suscité quelques grands noms — Pierre Pelot pour n'en citer qu'un. Parmi les oubliés de la période se trouvent Joël Houssin et Christian Vilà, à qui l'on doit notamment l'anthologie Banlieues rouges chez Opta. De Houssin, on a surtout retenu Blue et la série Dobermann, adaptée ensuite au cinéma par Jan Kounen. De Vilà, si l'on fait abstraction de Les Mystères de Saint-Pétersbourg, on pourrait citer Sang futur, un roman résolument punk mais qui jusqu'à cette présente réédition était introuvable. Ne tergiversons pas, résumer l'intrigue de ce court roman (157 pages au compteur, illustrations comprises) revient à faire un fist-fucking à un éléphant. Peu de sensation pour un risque d'écrasement maximum. Car Sang futur est un concentré d'énergie nihiliste, un baiser de la mort envoyé à la face de la société bourgeoise. Le texte est conçu comme un coup de boule adressé aux conventions littéraires. Très peu de ponctuation, une narration déstructurée, des ruptures typographiques, une écriture en flux tendu, un phrasé oral et une multitude de photomontages en guise de contrepoint au texte. On sent vraiment la volonté de casser le moule, quitte à abandonner la notion de récit elle-même.
« Tu sens la Crève en toi ?… »
Le roman décline ainsi une succession de flashs visuels, violents et viscéraux, animés par des personnages dont la psychologie se définit exclusivement par l'action. Dickkie la Hyène, le tueur de flics. Le White Spirit Flash Club, combo punk qui carbure à l'alcool, au sexe et au sang. El Coco Kid, l'écrivain junky qui se fait le chroniqueur du groupe. Sarah, le travelo émasculé avec une croix gammée rouge tatouée en guise de parties génitales. Tous des enragés, résolus à transmettre leur rage au monde pour mieux le détruire. Et pour les pourchasser un flic, punaise en imperméable mastic, bien décidé à les abattre. Tous.
Au final, Sang futur ne cherche pas le consensus. On aime ou on n'aime pas. Point barre. Un condensé de Bifrost, en somme…