Connie WILLIS
J'AI LU
576pp - 8,20 €
Critique parue en mai 1998 dans Bifrost n° 8
[Chronique de l'édition originale américaine parue en février 1998 chez Bantam Spectra]
En 1958 Connie Willis découvre Trois hommes dans un bateau. Cette lecture la marque plus qu'un peu. Quarante ans plus tard, elle publie un roman dont le titre, To say nothing of the Dog, n'est autre que le sous-titre du chef d'œuvre de Jerome et dont l'action se déroule principalement en 1888 sur les bords de la Tamise.
Mais comme le maître à bord est ici Connie Willis, le mode de transport n'est pas la barque mais le voyage temporel. On part donc d'Oxford au XXIe siècle, pour faire étape à Coventry en pleine seconde guerre mondiale et enfin débarquer en 1888 avec un cas de décalage temporel aggravé. Beaucoup plus drôle que le décalage horaire dont il est le cousin éloigné, le décalage temporel affecte la vision, l'ouïe, le sens de l'orientation et provoque chez ceux qui en souffrent d'interminables envolées lyriques.
Peu importe, l'Angleterre victorienne est sans doute la période la plus reposante de l'histoire de l'humanité : promenades en barques sur la Tamise, parties de croquets sur l'herbe, valets obséquieux…
Bien évidemment ce serait oublier que Connie Willis aime faire un peu souffrir ses héros. N'envoyait-elle pas la pauvre Kivrin en pleine peste noire dans Le Grand Livre ? Elle fait toutefois preuve de plus de clémence cette fois-ci. Les héros de To say nothing of the Dog ne doivent affronter que quelques paradoxes temporels, les facéties d'une riche américaine, les caprices d'une héritière férue de spiritisme et de son chat, sans parler du chien.
Les influences de To say nothing of the Dog sont diverses, on y retrouve l'atmosphère de Trois hommes dans un bateau, bien sûr, mais aussi le suspense des intrigues policières des années 30 et un service à table digne de Jeeves.
Mais To say nothing of the Dog est plus qu'un divertissement, c'est également une remarquable étude du voyage temporel. En utilisant la théorie du Chaos — un petit chat perdu peut à lui seul bouleverser le devenir de l'humanité —, Connie Willis offre l'une des voies d'exploration des paradoxes temporels les plus satisfaisantes à ce jour.