Sanshôdô est un petit recueil de trois nouvelles de Jean Millemann, auteur français discret s’il en est, et pour le moins éclectique puisqu’il aura produit à la fois des œuvres imaginaires (Fumeterre, Bienvenue sur Fumeterre) et… des ouvrages sur l’artisanat en Alsace. Le fil conducteur de ces trois nouvelles : les extraterrestres (les « zitis ») débarquent sur Terre. Pas une seule race, mais d’innombrables : les Nagaï, les Delphies, les arachnoïdes, les Tatous… Chose étonnante, ces peuples ne sont pas agressifs ni belliqueux, au contraire, même si leur aspect nous est parfois repoussant, ils n’ont apparemment aucune velléité guerrière, ils pourraient même nous transmettre une partie de leur savoir. Notre monde s’en trouve bouleversé tant l’homme est remis à sa juste place, à savoir celle d’un peuple archaïque nouvellement intégré dans une communauté interstellaire aux avancées technologiques qui le dépassent — un thème cher à Arthur C. Clarke, exploité notamment dans le roman Les Enfants d’Icare. Ici, Jean Millemann ajoute à l’écriture romanesque une fougue dogmatique au service d’un humanisme sans mièvrerie. Exercice difficile tant il est risqué de frôler les poncifs, les stéréotypes, et de tomber dans une gentille leçon de morale nous laissant avec un sourire béat de gratitude face à quelques envolées pleines de bon sens. Certains (beaucoup) s’y sont cassé les dents. Exercice difficile, donc, mais réussi. L’auteur aborde en seulement une centaine de pages les thèmes de la communication entre races, de l’amour entre des êtres différents, de la spiritualité, de l’intégration, ou encore du partage de la connaissance dans la quête du sens de la vie. Le recueil s’ouvre avec « Lanatkka-Nagui ». Un jeune scientifique est envoyé sur une station spatiale afin d’espionner les « zitis ». Sa mission officielle : avec son homologue, une jeune Nagaï, préparer la station à accueillir les futurs représentants terriens. Tout oppose ces deux êtres, leur vision du monde et de la vie, leur histoire, leur apparence, leurs projections dans l’avenir et leur place dans la communauté interstellaire. Un très joli texte sur l’amour, la différence et le partage. La seconde nouvelle, « Leboeuf se paye une toile », est une enquête policière sur le meurtre d’un éminent spécialiste en communication extraterrestre, apparemment commis par un arachnoïde. Ici, l’écriture est plus hachée, presque nonchalante, rendant le texte plus complexe d’abord même si, au final, sa teinte cynique, désabusée et son humour décalé font qu’il nous restera longtemps en mémoire. Enfin, le recueil se termine avec « Trois petits pas vers le chemin de la sérénité », nouvelle précédemment publiée dans l’anthologie Arcanes de Fabien Lyraud (éditions Voy’[el]). Dans cette parabole philosophique, un juge va rencontrer le Grand Tanuki, maître du savoir aux allures de dragon. Autour d’une cérémonie du thé pour le moins cocasse, l’émissaire terrien apprendra à ouvrir son esprit afin de découvrir le sens de la vie. Un conte initiatique entre spiritualité japonaise et préceptes bouddhistes zen. Au final, trois nouvelles de très bonne tenue, de celles qui laissent des souvenirs tenaces, au point d’avoir envie que l’auteur reprenne la plume et nous invite à nouveau dans son monde, peut-être pour un recueil complémentaire. Le travail des éditions Ad Astra et le choix de cet auteur sont remarquables, et la qualité de ce petit opus mériterait un lectorat plus conséquent que sa distribution actuelle (qui semble pour le moins confidentielle) ne le permet. Alors, ici, on réitère notre engagement pour les bons auteurs et on vous invite à commander ce petit livre chez votre libraire préféré ou à visiter le site de l’éditeur. Assurément, Jean Millemann est un nouvelliste de talent et Sanshôdô est à ranger aux côtés des meilleurs écrits de Jean-Claude Dunyach, Jean-Jacques Girardot ou Jean-Jacques Nguyen. Dans votre panier !