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Les critiques de Bifrost

Sardequins

Philippe MONOT
NESTIVEQNEN
20,00 €

Critique parue en septembre 2002 dans Bifrost n° 27

Après Frère Aloysius et le petit prince, paru en 2000 chez Nestiveqnen, voici donc Sardequins, second roman de Philippe Monot et premier volet de ce qui s'annonce déjà comme une trilogie.

Dans un monde dominé par l'Adjita, une institution religieuse qui a tourné le dos à la magie des siècles passés, le libraire Léandre Olvérius met la main sur un vieil exemplaire d'un manuel de magie et tente de le rééditer. Dès lors, tout son univers bascule : Léandre disparaît, sa librairie part en fumée et sa fille Ruth est agressée par des créatures surnaturelles. L'intervention du comte Nestor, ami du libraire et poète pamphlétaire sans public, permet à la jeune fille d'échapper à la mort. Ruth se lance alors à la recherche de son père, accompagnée du comte, lui-même en quête de son passé perdu. Dans le même temps, les armées du culte Husan quittent les Terres Libres et envahissent le monde adjitien… Dans l'ombre, deux Sardequins tirent les ficelles de ces destins mêlés.

Affirmons-le d'emblée : avec ce deuxième roman, Monot confirme qu'il est moins un écrivain exigeant qu'un conteur efficace et imaginatif. L'auteur semble en effet ne porter aucune attention à la structure narrative et s'embarque, toutes les fois qu'il le peut, dans des digressions étonnantes et dans des variations sur les thèmes de la magie, de la guerre, du voyage initiatique et de la quête d'identité — variations qui démontrent au demeurant qu'il a parfaitement assimilé tous les ressorts de la fantasy. Si cette liberté formelle confère à Sardequins une spontanéité rafraîchissante, elle grève le livre d'un inachèvement stylistique patent. Les digressions irritent parfois le lecteur, les fautes de style et les impropriétés de langage provoquent une gêne ponctuelle mais récurrente. Surtout, l'auteur change de point de vue narratif de manière totalement inopinée et découpe chacun de ses chapitres en dépit de toute logique d'ensemble.

Toutefois, malgré cette structure lâche, le roman porte en lui une énergie, une vivacité, un humour et une vraie générosité, caractéristiques qui lui confèrent un charme qui n'est pas sans évoquer celui des aventures du petit sorcier de J. K. Rowling. Après un court prologue dont la complexité, artificielle, échoue à captiver le lecteur, le récit prend son envol. Au fil de la lecture, la magie opère et on plonge sans retenue dans l'univers de Sardequins, croisant des créatures improbables et des architectures démesurées. Quant aux personnages ils sont imprévisibles, touchants, drôles, espiègles, gentils même lorsqu'ils sont méchants et d'autant plus fragiles qu'ils sont forts. À travers les figures des deux Sardequins, magiciens puissants et virtuellement immortels, pour lesquels le monde n'est qu'un terrain de jeu, l'auteur jongle habilement avec la notion de deus ex machina. Non seulement Monot ne ruine pas son intrigue dans les interventions récurrentes de ces omnipotents, mais elle y gagne même en cohérence. Finalement, Monot prouve qu'aucun des événements, des personnages, ou même des objets qu'il évoque, n'est inutile ou gratuit — jusqu'aux notes de bas de page qui, si irritantes qu'elles puissent paraître, contribuent néanmoins à donner de la chair à l'univers décrit.

Voilà qui fait du deuxième roman de Philippe Monot un divertissement sympathique, un livre dense malgré des défauts formels. On attend la suite sinon avec impatience, du moins avec un réel intérêt.

Ugo BELLAGAMBA

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