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Les critiques de Bifrost

Science-fiction. Une littérature du réel

Science-fiction. Une littérature du réel

Raphaël COLSON, André-François RUAUD
KLINCKSIECK
192pp - 13,50 €

Bifrost n° 43

Critique parue en juillet 2006 dans Bifrost n° 43

[Critique commune à Science-fiction : une littérature du réel et La Cité d’en haut.]

Auteur, éditeur, anthologiste, André-François Ruaud fait partie des talents pluridisciplinaires de la science-fiction hexagonale. Bonne nouvelle pour les lecteurs et lectrices attiré(e)s par son travail éditorial au sein des très respectables Moutons électriques, les rayons des libraires proposent deux ouvrages récents, un roman et un essai.

Côté essai, c'est d'une histoire de la science-fiction qu'il s'agit, mais une histoire revisitée aux éditions Klincksieck (coécrite avec Raphaël Colson) au sein de la collection « 50 questions ». Cinquante questions, donc, pour évoquer tout un pan de la littérature, dans une perspective historique, certes, mais également (c'est bien là l'intérêt) d'un point de vue culturel, sociologique et même franchement humaniste. Si, à l'instar d'autres textes du même genre, on traite essentiellement de S-F européenne et américaine, la lecture de Science-fiction, une littérature du réel (tout est dans le titre) n'en reste pas moins aussi agréable qu'étonnante. Etonnante, car les deux auteurs n'hésitent pas à épicer leur imposante bibliographie de titres encore inédits en France, et ce malgré leur importance majeure au sein du genre (Delany, bien sûr, mais aussi Crowley, Engh et bien d'autres). Agréable, car l'agencement des questions est bien amené et le discours historique impeccablement mêlé aux descriptions strictement livresques. Subversive, iconoclaste, dérangeante, la S-F gagne au passage les lettres de noblesse que continuent à lui refuser les milieux éditoriaux bien-pensants. Véritable mine d'information, ce vaste panorama ne rebutera personne : les spécialistes y trouveront de nouvelles voies à explorer et les néophytes en apprécieront la concision, la construction et l'intelligence. À ce titre, Science-fiction une littérature du réel s'impose d'emblée comme le meilleur livre de sa catégorie. Tellement bien fichu qu'on se plaît à rêver d'une version richement illustrée.

Changement de décor radical avec non pas un, mais deux textes de fiction rassemblés en un seul volume sous le titre La Cité d'en haut aux éditions Mnémos — le premier des deux étant la réédition d'un volume autonome paru en 1999 aux éditions du Bélial' sous le titre Des ombres sous la pluie, ce que Mnémos oublie bien naturellement de préciser, y compris dans la bibliographie de l'auteur au début du présent volume… Seul aux commandes, André-François Ruaud invite son lecteur au voyage. Un voyage pertinent et poétique, à l'exacte convergence de la fantasy et de la science-fiction. Parti pris fascinant de la part d'un auteur dont on connaît l'érudition : planter un décor qui a tout de la fantasy (un palais gigantesque sur les toits duquel est installée la Cité d'en haut, peuplée d'exilés — forcés de quitter le palais et maintenus à l'écart par un mystérieux champ de force — de centaures, d'hommes-chats et de tout un bestiaire qui résonne comme autant de clins d'œils) et lui donner une assise réaliste inscrite dans la tradition du planet opera (une dispora humaine pangalactique, la colonisation de la planète, la modification génétique de certains habitants, etc.). Héros idéal de ces deux courts romans, Ariel Doulémi symbolise à la perfection ce mariage rondement mené : jeune homme bien sous tout rapport, mais également vampire (pas au sens fantastique du terme), car modifié par les hommes-chats et pourvu de deux canines rétractiles dont il se sert pour identifier les liquides qu'il peut aspirer. De fait, au service de Madame Ha, il a l'occasion de se heurter à un complot qui sème plusieurs assassinats par empoisonnement tout en participant à une révolution sociale longtemps contenue. Descriptions longues et parfois fatigantes, certes, mais humour, souffle et véritable hommage à une littérature qui n'a jamais peur du merveilleux. Si La Cité d'en haut est un vrai thriller, c'est également un vrai bon bouquin à réserver aux lecteurs et lectrices avides de références (un des personnages s'appelle Rex Stout, et ce n'est qu'un exemple). Les fans de Richard Morgan n'apprécieront pas, même s'il y a des poursuites à vélo…

Patrick IMBERT

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