AYERDHAL
AU DIABLE VAUVERT
600pp - 23,00 €
Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118
Paru un an après la disparition de son auteur, Scintillements réunit la totalité des brèves fictions d’Ayerdhal. Hormis vingt-sept d’entre elles publiées de 1986 à 2015, y figurent dix autres jusque-là inédites et non datées. À celles-ci, Scintillements ajoute neuf interviews données par l’auteur entre 2000 et 2015. S’y exprimant parfois longuement (l’entretien avec Richard Comballot paru dans Voix du futur, et dont le présent numéro reproduit environ le tiers, frôle les soixante-quinze pages), toujours avec franchise, Ayerdhal y développe d’éclairants propos sur son art littéraire, notamment sur sa pratique de la nouvelle.
À son propos, il reconnaît avec une lucidité mêlée de son caractéristique humour n’être « vraiment à l’aise qu’au-delà de quatre cents pages (et de préférence le double) [pour] pousser la métahistoire jusqu’à impliquer l’ensemble de l’humanité et une part déraisonnable de la Galaxie », ajoutant encore qu’il « préfère observer les macrocosmes. » Soit un constat que lecteurs et lectrices pourraient être tentés de faire leur à l’issue de la lecture des trente-sept nouvelles de Scintillements.
Les plus courts des textes (certains comme « Lettre d’Anamour », « Apoptoses » ou « Entre deux mondes, les déplacements » tiennent même de la micronouvelle) laissent le plus souvent un goût d’inachevé narratif. S’apparentant à des croquis préparatoires de potentielles et plus amples fictions, ces miniatures semblent avant tout destinées aux plus purs des ayerdhaliens, trouvant là matière à exégèse quant à la fabrique de leur auteur favori. « Lettre d’Anamour », en émaillant jusqu’à saturation ses deux pages de néologismes, pourrait ainsi être appréhendé comme un micro-laboratoire littéraire dans lequel l’auteur expérimente sa langue science-fictionnelle.
Sans doute à l’étroit dans trop peu de pages, l’art du récit d’Ayerdhal peine aussi parfois à s’épanouir lorsqu’il doit se combiner à des imaginaires exogènes. Ses nouvelles à destination d’un numéro spécial pré-an-2000 de Libération (« Jusqu’ici tout va bien ») ou du Monde de l’éducation (« Fin de semaine ») ont de frustrantes allures de textes de commande. Et certaines des nouvelles rédigées à quatre mains comme le steampunk « Loin sans départ » (avec Fred Audams) ou « La Nuit de la Calamitaine » (un cyberwestern écrit avec Sara Doke) ne sont guère plus enthousiasmantes. Il arrive cependant que cette entreprise de synthèse fonctionne de manière plus heureuse, à l’instar du « Réveil du croco » (relecture sous acide du Peter Pan de Barrie) ou des « Seigneurs de la firme », coécrit avec Éric Cervos, mettant ingénieusement la fantasy de Moorcock au service du propos politiquement engagé d’Ayerdhal.
Car, comme il le déclare encore dans Voix du futur, « [il] y a chez [lui] une densité politique […] qui est énorme », celle-ci tenant à une inébranlable conviction « anarchiste ». Elle trouve son expression littérairement la plus convaincante dans les nouvelles les plus longues et les plus personnelles de Scintillements. Les novellas que sont « La Troisième Lame » et « Pollinisation », déclinaisons (relativement courtes) de l’Homéocratie constituent d’évidents sommets du recueil. Se hisse à leur hauteur cette autre (mini) odyssée de l’espace qu’est la nouvelle donnant son titre au recueil et reprise dans nos pages. Et n’en sont pas très loin ces contes cruels de SF que sont « Vieillir d’amour », « L’Adieu à la nymphe » ou « Notre terre ».
S’inspirant in fine de la métaphore stellaire induite par le titre de ce recueil, ces textes-là sont sans doute les plus remarquables des astres de la galaxie ayerdhalienne cartographiée par Scintillements.