Jean BARBELLE, Ioana ALEXANDRU, Gabriel VIDAL, Alexis FLAMAND, Véronique PINGAULT, Christian FONTAN, Stéphanie COURTEILLE, Jean-Christophe HECKERS, Mathieu RIVERO
HYDROMEL
240pp - 15,00 €
Etonnant objet que cette anthologie : une couverture minimaliste, voire austère, une quatrième de couverture pour le moins laconique (« un recueil de neuf nouvelles autour du thème des ordures, décharges et insalubrités »), aucune préface. Le lecteur y entre donc en ne connaissant que le nom de l’anthologiste, Merlin Jacquet-Makowka, et celui des auteurs convoqués, pour la plupart de glorieux inconnus. Histoire de mieux se concentrer sur les récits proposés ?
On commence avec un texte au titre bizarre (encore !), « M.T.P.L.[i]. », de Jean Barbelle : dans une ambiance gothique, le directeur d’un hôpital psychiatrique pour enfants inadaptés tente en toute discrétion de faire le jour sur un meurtre commis dans son établissement, alors qu’il en est en partie responsable. Ioana Alexandru, avec « De Stercore Enni », nous livre un texte poétique dont la morale invite à penser que même au sein des immondices on peut trouver la splendeur. Dans « Pourrissoir », de Gabriel Vidal, un homme passé à tabac gît, à l’article de la mort, dans une décharge, lorsqu’une fillette vient le narguer… D’une grande cruauté. « La Resserre », d’Alexis Flamand, est un texte lovecraftien. Un homme nettoie la maison de son grand-oncle décédé afin de la vendre ; il débarrasse la resserre, pleine à craquer de souvenirs, de fond en comble… si bien sûr il y a un fond. Dans une Europe ravagée par l’explosion d’une centrale nucléaire, le quotidien d’un homme chargé d’entretenir la seule lueur d’espoir… (« Les Belles dames », de Véronique Pingault). Entre virtualité et ville-décharge, une enquête policière sur fond de musique (« Inachevée », Christian Fontan). « Le Comte de la cave », de Stéphanie Courteille, semble un cauchemar inracontable tout droit tiré de Lewis Carroll. Dans « De Profundis », de Jean-Christophe Heckers, une étrange expédition du futur est chargée de baliser le terrain dans un très vieux bâtiment d’archive, mais déclenche accidentellement la montée d’une marée d’excréments. Pour finir, dans « Douât », Mathieu Rivero nous raconte la quête de sens d’un homme qui n’accepte pas de vivre indéfiniment dans des Limbes particulièrement lénifiants.
Concevoir une anthologie autour des « scories » n’est pas sans risque, car le terme peut parfaitement être pris au sens propre (si l’on ose dire) de déchet, rebut, détritus… ou au sens figuré, comme par exemple une personne qui incarnerait la lie de l’humanité. Les différentes acceptations du terme auraient ainsi pu conduire à des textes forts disparates. Or, on constate ici, non sans une once d’étonnement, qu’il n’en est rien : le recueil s’avère d’une homogénéité remarquable, produit d’une direction d’ouvrage efficace. Sans être inoubliables, les textes sont d’un niveau très correct, et se lisent sans autre déplaisir que l’odeur parfois nauséabonde qui s’en dégage. Les angles d’attaque choisis par les différents auteurs pour traiter du thème imposé sont parfois surprenants, et l’on sent une volonté permanente de projeter le lecteur dans des eaux troubles où ses certitudes s’effacent, où les notions du beau et du sordide deviennent aléatoires, un sentiment ambigu entretenu par la volonté quasi systématique de ne pas ancrer les textes dans un espace et un lieu trop évident : même si certaines histoires sont clairement situées dans notre futur, l’environnement reste flou la plupart du temps. Globalement plutôt sombre, la thématique est parfois rehaussée de touches de poésie ou d’humour noir. Et l’ensemble est plutôt bien écrit.
Au final, voici une anthologie extrêmement originale passée assez inaperçue (la faute, sans doute, à une diffusion de l’éditeur, quasi inexistante, y compris sur Amazon et Fnac.com — on tâchera de pêcher quelques infos par ici : www.editions-hydromel.com) qu’il serait dommage de négliger tant elle propose un ensemble de textes intéressants, et l’occasion de découvrir une poignée d’auteurs qu’on aura plaisir à retrouver au gré de futures anthologies ou numéros de revues…