Alexander JABLOKOV
FOLIO
480pp - 9,90 €
Critique parue en janvier 2008 dans Bifrost n° 49
Premier roman d'Alexander Jablokov, si l'on fait abstraction de la parution de A Deeper Sea dans Asimov's SF Magazine, Sculpteurs de ciel est un ouvrage qui intrigue autant qu'il suscite l'agacement. Assertion contradictoire, me direz-vous, pourtant tel est bien l'état d'esprit, brut de décoffrage, qui prévaut une fois la dernière page tournée. Et puis progressivement, le sentiment jusqu'alors sous-jacent d'avoir lu un roman plus profond qu'il n'y paraît s'impose. Pas facile en fin de compte de chroniquer Sculpteurs de ciel, aussi va-t-on débuter en donnant un aperçu de l'histoire. Nous sommes au vingt-quatrième siècle. Grâce à la découverte de la ngnomite — une matière synthétique très rare et coûteuse, créée par une espèce extraterrestre disparue —, l'humanité a conquis les étoiles et s'est installée sur quelques mondes du système solaire. Cependant, une guerre froide a distendu, pour des raisons sur lesquelles l'auteur ne s'appesantit pas, les rapports entre la Terre, ses partenaires de la Lune et de Mars, et l'alliance technique formée essentiellement par les colonies des satellites joviens. Afin d'éviter un éventuel réchauffement fatal, les deux blocs ont donc convenus d'une zone tampon entre eux, logiquement située dans la ceinture d'astéroïdes qui sépare les planètes intérieures de leurs voisines géantes. La cohabitation demeure pourtant délicate et ce qui semblait impossible jusque-là, la guerre, devient de plus en plus pensable à mesure que les incidents se multiplient.
C'est dans ce contexte qu'échoit entre les mains de Lord Monboddo, célèbre collectionneur d'art, et de son sénéchal Anton Lindgren, une curieuse statuette représentant le Christ. L'objet leur pose rapidement deux problèmes : des éclats de ngnomite appartenant à un morceau de taille beaucoup plus conséquente sont intégrés à l'œuvre et celle-ci porte la marque indéniable de l'artiste Karl Ozaki ; impossibilité notoire puisque celui-ci est mort dans un accident quelques années auparavant. À qui profite l'apocryphe ? Pour les deux hommes, il ne fait rapidement aucun doute : pour mettre la main sur le filon de ngnomite, il faut retrouver l'artiste, quel qu'il soit. Evidemment, les obstacles ne vont pas manquer de se dresser pendant leur périple entre la Terre et la ceinture d'astéroïdes, des tours modernes de Boston à un colossal jardin minéral à la japonaise sur fond étoilé.
On l'aura compris à la lecture de ce bref résumé, Sculpteurs de ciel s'offre donc au lecteur sous la forme d'une enquête très balisée qui s'inscrit dans un univers de space opera de la plus belle eau. Il est cependant utile de préciser que cette investigation est narrée sur un rythme franchement nonchalant — on est loin de l'aventure débridée annoncée par la quatrième de couverture — qui s'abandonne, à l'occasion pour notre plus grand plaisir, sur quelques flamboyances mémorables, et laisse dans l'ombre de nombreux aspects du contexte. Rien de neuf sous le soleil, est-on tenté d'affirmer pendant un instant. Pourtant, cette apparence s'avère un leurre qui masque un enjeu autrement plus essentiel et une réflexion profonde sur la création artistique et le rôle de l'art. Ainsi l'enquête finit-elle par relever davantage de la quête mystique et également esthétique, au sens philosophique du terme. Là se trouve le cœur de ce roman ; un joyau brut qu'il convient de libérer de ses scories sans oublier que « les images sacrées peuvent aider l'esprit à se concentrer, mais elles peuvent aussi le tromper. Le danger est toujours là, mais nous flirtons avec le danger ».