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Les critiques de Bifrost

Sécheresse

James Graham BALLARD
POCKET

Critique parue en juillet 2010 dans Bifrost n° 59

Après le vent et la canicule, la sécheresse. La pollution industrielle est devenue telle qu’une couche solide et huileuse recouvre intégralement les océans et empêche leur évaporation. Depuis dix ans, il ne pleut plus. Rendues aveuglantes par la lumière omniprésente, calcinées par le soleil brûlant, les terres désertiques sont jonchées de cadavres d’animaux et de carcasses de voitures ou de navires ensablés. La poussière s’accumule et s’infiltre partout. Les populations assoiffées se massent vers les côtes et les plages de sel, scrutant le ciel flou chauffé au fer blanc dans l’espoir d’y voir enfin se former un nuage. Attendre, observer : voilà ce que fait aussi le docteur Charles Ransom sur les rives d’un lac asséché non loin de Mount Royal, où le manque d’eau potable répand un vent de folie sur les communautés de pêcheurs. Et bientôt Ransom, accompagné d’un jeune homme et d’une zoologiste, est lui aussi forcé de quitter Hamilton en flammes et de rejoindre la côte.

Comme Kerans dans Le Monde englouti, et comme, plus tard, Sanders dans La Forêt de cristal, Ransom et les autres habitants de Hamilton se complaisent dans la catastrophe, totalement apathiques. Sécheresse donne l’impression d’un univers déjà mort, immobile, « archipel vidé de son temps » où les hommes et les dunes se meuvent au ralenti, telles les figures étranges du tableau de Tanguy, Jours de lenteur, auquel le roman rend d’ailleurs hommage. La lenteur monotone qui caractérise le quatuor est donc ici à son apogée et, en même temps que les terres vaines et arides du docteur Ransom, c’est le roman lui-même qui s’assèche peu à peu, jusqu’à s’éteindre, sans que le révérend Johnstone, pathétique figure shakespearienne, n’y puisse rien. Sans doute l’origine trivialement humaine du désastre, et l’atterrant spectacle de la vie agonisante, empêchent-ils Sécheresse de se hisser au niveau du Monde englouti et de La Forêt de cristal, dont l’exotisme radical et la promesse d’un nouveau jardin d’Eden sont ici absents.

Olivier NOËL

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