Alain GROUSSET, Danielle MARTINIGOL
FLAMMARION
336pp - 15,00 €
Critique parue en janvier 2011 dans Bifrost n° 61
En ce début de XXIe siècle, Mathis apparaît comme une anomalie. Doté d’un odorat absolu, le jeune homme perçoit la moindre fragrance ou puanteur, qu’elle émane d’un animal, d’un végétal ou d’un minéral. Une faculté révolutionnaire qu’il se garde bien de révéler, de peur de provoquer la curiosité, voire la répulsion. En effet, depuis plus d’une centaine d’années, l’humanité a accepté le fléau qui a effacé en partie l’odorat de son paysage sensoriel. Une calamité découlant de la pandémie de grippe espagnole. Par la force des choses, les hommes se sont habitués à l’épaississement de leurs muqueuses nasales, établissant une nouvelle hiérarchie fondée sur la ségrégation par les odeurs. La routine, en somme, pour une humanité jamais en manque d’idées lorsqu’il s’agit d’exclure, de proscrire ou d’interdire. Ainsi, pendant que certains accomplissent les basses besognes, méprisés de tous, nouveaux intouchables d’un monde divisé en castes, d’autres sont destinés à de hautes fonctions. On comprend pourquoi Mathis préfère se taire. Un silence dicté par les circonstances et imposé également par l’existence d’un ordre religieux extrémiste : les Flagellants. Orphelin de père et de mère, isolé en Tanzanie où il ne fait pas bon vivre lorsqu’on est blanc, Mathis devient l’enjeu d’une lutte de pouvoir entre la science et les croyances religieuses, entre la lumière et l’obscurantisme. Un motif classique et un tantinet caricatural en littérature, dont on se demande comment les auteurs vont se détacher…
L’argument de départ de Sens interdit a de quoi intriguer. On s’écarte des sempiternelles divergences fondées sur l’Histoire traité-bataille et les grands personnages historiques. Ici, c’est une épidémie qui contraint l’Histoire à bifurquer sur une voie divergente. Certes, les amateurs d’uchronie rétorqueront à bon droit que Robert Silverberg et Kim Stanley Robinson n’ont pas fait autre chose avec la peste noire. Cependant, le virus n’introduit pas une extinction massive, modifiant l’équilibre des civilisations. Il ne modifie qu’un des cinq sens, introduisant une nouvelle organisation sociale à l’intérieur des puissances mondiales.
Sens interdit se cantonne grosso modo à la France et à son empire colonial. L’Hexagone vit sous la férule d’un régime pour le moins autoritaire, lui-même sous l’influence d’un ordre religieux réactionnaire né du traumatisme provoqué par la perte de l’odorat. Même si l’hypothèse scientifique et la proposition d’Histoire alternative paraissent vraisemblables, pour l’originalité on repassera. Clichés sur clichés sont alignés comme des perles sur le chapelet d’un moine intégriste. Pour aggraver cette impression, les auteurs s’enferrent dans un conflit de nature manichéenne, animé par des personnages à la psychologie transparente. Le pompon dans ce domaine revenant incontestablement au duo Lucius Millepierres et sœur Bérengère. Dans le genre zizi panpan et miss patouche, les auteurs ne craignent pas le ridicule. Amateurs de série Z et d’humour déviant, vous voilà avertis.
Nullement troublés par l’aspect involontairement drolatique de la chose, Alain Grousset et Danielle Martinigol déroulent de surcroît un récit linéaire et sans véritable surprise, convoquant le ban et l’arrière-ban des stéréotypes et les recettes éventées du roman d’aventures.
Bref, on se dit que l’on est passé à côté d’une uchronie vraiment originale. Dommage.