Christian CHAVASSIEUX
La FORCE G
130pp - 11,00 €
Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118
Insaisissable Christian Chavassieux. Alternant depuis quelques années les romans d’Imaginaire le plus pur (Les Nefs de Pangée) et la littérature blanche, il est rarement là où l’attend. Ce Sereine en est un bon exemple : publié par une dynamique maison d’édition associative dirigée par Pascal Yannou, la Force G, dont le catalogue vaut le coup d’œil, il s’agit d’une novella qu’on rangera volontiers dans le genre weird. Le personnage principal de ce livre écrit au vouvoiement de politesse, une femme, a accouché une nuit, dans sa baignoire, de… quelque chose. Elle a dissimulé la naissance à son mari comme à ses deux enfants, et caché le fruit de ses entrailles dans une pièce inoccupée de son sous-sol ; car son « enfant » ne parle pas, ne vit pas même totalement, d’ailleurs, et s’avère constitué de membres minuscules malhabiles. Quand il tombe, il fait un bruit d’objet mou, seul son ou quasi à émaner de son être. Toute la puissance de suggestion de Chavassieux est là : les descriptions sont volontairement incomplètes, déformées par le prisme de la vision de la mère, condamnant l’inconscient du lecteur à faire le reste et à ne jamais savoir ce dont il retourne vraiment. On est ainsi aux antipodes du fœtus vociférant d’Eraserhead de David Lynch, qui laisse peu de place à l’imagination, et pourtant on ne peut s’empêcher de leur trouver une certaine parenté, jusqu’à y voir aussi un jumeau inversé. Il faut dire que le regard de la protagoniste fait office de miroir sacrément déformant : si elle n’est pas bête, elle a du mal à se concentrer sur quoi que ce soit et semble traverser le monde comme une ombre. Toute situation normale vire au décalé lorsqu’on la vit à travers ses yeux. Même quand son mari sombre peu à peu dans le complotisme et l’extrémisme, jusqu’à participer à une milice de vigilance chargée de supprimer la menace de ces xénos qui envahissent notre société : elle est fière de lui au début, mais retombe peu à peu dans sa posture amorphe dont, seule, la tire de temps à autre la créature du sous-sol à laquelle elle s’attache petit à petit. Comme d’habitude avec Chavassieux, la langue est ciselée, précise, élégante, et fait de Sereine un texte extrêmement percutant, à nul autre pareil, et ce jusqu’au sein même de l’œuvre de l’auteur. Une expérience.