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Les critiques de Bifrost

Seule sur Terre

Charles YU
AUX FORGES DE VULCAIN
16,00 €

Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119

Seule sur Terre est un petit recueil de Charles « Chinatown, Intérieur » Yu qui contient trois textes de longueurs à peu près similaires.

On y trouve d’abord « Seule sur Terre», l’histoire de Jane… seule sur Terre en l’an 3020. Jane est une fille comme il y en a tant. Elle est étudiante, elle s’entend mal avec sa mère, elle doit rejoindre après les vacances la fac de Jupiter, et, pour le moment, elle a « un job d’été ». C’est la nature du job qui rend Jane extraordinaire : elle tient la boutique de souvenirs de la Terre, un monde qui est devenu un parc d’attraction touristique puis un musée puis une simple boutique après le départ de toute l’espèce humaine vers le système solaire puis les étoiles. La jeune fille, qui cherche à attirer le client, y raconte en accéléré l’histoire de la Terre et de l’humanité, puis les différentes tentatives de rendre bankable la planète défigurée par les conséquences de l’anthropocène. Au fil des pages et des quelques péripéties on comprend à quel point cette humanité diasporique ne nous ressemble pas et à quel point, aussi, elle a du mal à comprendre ce que fut notre mode de vie. Comprendrions-nous les humains de l’An Mille ? Sans doute avec grande difficulté.

« Systèmes » est le texte suivant. Peut-être écrit par une IA ou par l’un de ces systèmes qui savent tout de nous car ils enserrent nos existences et les rendent possibles dans leur modernité numérique, il constitue une superbe documentation de l’année du COVID vue par des intelligences spectatrices qui, elles, ne le craignaient pas. On y retrouve, à travers les trends de recherche d’humains apeurés par une épidémie arrivée trop vite pour qu’ils en comprennent les tenants et aboutissants, les peurs, les espoirs, les doutes d’une humanité confrontée en totalité à sa propre mortalité et à l’effondrement possible de tout système social. C’est joliment fait ; on s’y croirait revenu.

« Fable », enfin, est une psychothérapie effectuée sur le ton de la… fable. On y partage les tourments d’un homme qui, sous les oripeaux d’un récit de fantasy avec enchanteresse, dragons, épées, belles (ou pas si belles) à marier, et malédiction touchant l’enfant du héros comme c’est le cas dans La Belle au Bois Dormant par exemple, s’ouvre peu à peu à sa thérapeute grâce au décalage narratif qu’induit la mise en conte de l’histoire de sa vie, jusqu’à parvenir à exprimer sa rage et son désarroi intimes en dépit d’une vie que d’aucuns jugeraient confortable. Désarroi et rage intimes bien plus causés par les réactions du monde à son malheur que par son malheur lui-même. Comme dans Chinatown, Intérieur, Yu — et son personnage — décale son récit pour rendre explicite le problème. Ce n’est pas mal fait.

Le tout forme un recueil qu’on lira avec plaisir. Peut-être pour souffler entre deux lectures plus exigeantes.

 

Éric JENTILE

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