Benoît BONTE
PLG
18,00 €
Critique parue en janvier 2021 dans Bifrost n° 101
Lorsqu’on évoque aujourd’hui les débuts d’une bande dessinée française destinée aux adultes, on cite souvent le Pilote de René Goscinny comme matrice ayant accouché au cours de la première moitié des seventies de L’Écho des Savanes, de Fluide Glacial et de Métal Hurlant, qui révolutionnèrent le neuvième art. L’histoire de toutes ces revues est désormais bien documentée (on pense ici à Les Années Pilote, Dargaud, 1996, ou à Métal Hurlant – La Machine à rêver, Denoël, 2005)
Il ne faudrait pas pour autant oublier le rôle joué par le fameux libraire-éditeur Éric Losfeld qui édita, dès 1964, à l’enseigne du Terrain Vague, le Barbarella de Forest, mais pas seulement puisque suivit dans son département BD une petite quinzaine d’albums novateurs qui eurent parfois à se frotter à la censure avant de tomber pour nombre d’entre eux dans un oubli immérité.
C’est à ces bandes dessinées déviantes, mutantes, relevant de la SF et/ou de l’érotisme, que Benoît Bonte consacre son premier essai aux éditions PLG.
Il commence par rappeler le contexte de l’époque – premiers clubs d’amateurs, première librairie spécialisée… –, puis s’attarde sur la personnalité de Losfeld, descendu de sa Belgique natale pour éditer à Paris les Surréalistes chers à son cœur, avant de braquer son projecteur sur Jean-Claude Forest.
Barbarella vient au monde dans les pages du V Magazine de Georges Gallet, grand connaisseur de la SF et responsable du « Rayon Fantastique », dont de nombreuses couvertures ont été illustrées… par Forest. Comme quoi, tout est lié ! Losfeld ira la chercher dans les pages du magazine polisson pour en faire un album luxueux, relié, avec jaquette, qui deviendra la figure de proue de son catalogue et l’un de ses best-sellers, avant que le personnage apparaisse dans une chanson de Gainsbourg et soit personnifié par Jane Fonda. À partir de là, il n’aura de cesse de renouveler son exploit éditorial et aura la chance de croiser la route de Guy Peellaert qui fera de lui l’éditeur des Aventures de Jodelle. Excellente pioche à nouveau, du côté du Pop Art cette fois-ci. Puis Losfeld découvrira le très jeune Philippe Druillet, dont il publiera l’inabouti premier opus qui mettait déjà en scène Lone Sloane.
Le sommet de sa production correspondra au mythique Saga de Xam de Nicolas Devil sur scénario de Jean Rollin, ce feu d’artifice graphique édité dans un écrin luxueux et accompagné d’une loupe afin que le lecteur profite des moindres détails !
Il remettra le couvert avec Peellaert pour Pravda la survireuse, éditera le Valentina de Crepax, le Lolly Strip de Pichard et, en 1970, Kris Kool, le très psychédélique album d’un jeune inconnu qui ne le restera pas longtemps, j’ai nommé Caza !
Même s’il s’est fourvoyé avec certains titres, Losfeld aura eu le mérite de faire de belles découvertes et de poser les fondations d’une bande dessinée pour adultes qui, avant lui, n’existait pas. Tel est le bilan tiré par Benoît Bonte à la fin de Sexties – Les Filles du Terrain Vague, un ouvrage à la très riche iconographie, dans lequel on croise de nombreuses personnalités du monde de la contre-culture des années 60 et au-delà – Francis Lacassin, Alain Dorémieux, Jacques Sternberg, Michel Demuth, Maxim Jakubowski, Michael Moorcock… –, et dont la lecture, pour compléter celle des mémoires de Losfeld, Endetté comme une mule, rééditées en 2017 par les éditions Tristram, vous est chaudement recommandée.