Nicolas LE BRETON
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
15,00 €
Critique parue en janvier 2018 dans Bifrost n° 89
Les Enfers. Deux démons assistent à la chute d’un corps, celui d’une humaine morte « À l’endroit où la mort est bannie ». Divers incidents qui mettent en péril la souveraineté de l’Ici-Très-Bas conduisent Adramelech, Grand Chancelier des Enfers, à faire appel à Sherlock Holmes. Comment le détective logicien va-t-il pouvoir enquêter dans le domaine de l’irrationnel ? C’est oublier son célèbre adage : « Quand on a éliminé l’impossible, ce qui reste, aussi improbable soit-il, est la vérité » …
Le pastiche holmésien est un exercice difficile qui répond à des contraintes, autant de figures obligées que sont Londres, le brouillard ou la vie au 221B, Baker Street… En général, les auteurs français s’y cassent la pipe, sauf à les détourner. Ainsi Jean Dutourd avec Mémoires de Mary Watson et Jean-Jacques Sirkis avec La grand-mère de Sherlock Holmes ont su tirer leur seringue du jeu.
À l’origine, Sherlock Holmes aux Enfers est un projet BD sur scénario d’André-François Ruaud, spécialiste émérite du détective. Sur la base de son canevas, il a confié le projet à Nicolas Le Breton, passionnant guide de profession, et donc choix judicieux pour une visite des catacombes bibliques. Et pourquoi pas, après tout Watson cache Conan Doyle dans les récits originaux.
Nicolas Le Breton prend la voix du détournement. Elle conduit aux Enfers, dont chacun sait que le chemin est pavé de bonnes intentions. Or Le Breton a une tendance au style plus ampoulé qu’un Noël de l’entreprise chez Thomas Edison, et il manque une véritable correction au manuscrit. Qu’on en juge : Sherlock Holmes « tire une bouffée » de sa pipe, continuellement, sauf une fois où il « l’expulse » ; p. 11, l’auteur confond un chapeau et une casquette ; p. 28, on lit «les dents inertes du cadavre » et p. 40, on trouve trois « que » dans la même phrase. Sans compter, l’erreur est toutefois commune, qu’il n’y a pas de pomme dans la Bible mais un fruit. En latin « malum » signifie « pomme » ou « mal », le traducteur antique a simplement fait un jeu de mots.
Alors, une Sherloconnerie ? Eh bien pas du tout.
Au contraire, c’est une totale réussite comme le serait un spectacle au Théâtre du Châtelet, un vaudeville qui répond point par point au cahier des charges : on pleure beaucoup, on se pâme, on prend ses jambes à son cou. Il est évidemment question de travestissement et d’adultère à la Feydeau. Les acteurs cabotinent : « Je suis Lucifer, imbécile ! », « Mais non ! C’est moi, Lucifer ! ». Culotté comme une vieille bouffarde, Le Breton rend même un hommage à Johnny Hallyday avec, p. 100, un « Mary, si tu savais ». L’ensemble est assurément réjouissant.
Au final, et sous la magnifique couverture de Melchior Ascaride, mais trompeuse car elle laisse croire au tragique, Sherlock Holmes aux Enfers est un pastiche réussi, au-delà peut-être même de l’intention initiale. Ruaud en Doyle, Le Breton en Watson, offrent un récit très drôle, qui vaut bien mieux que trop d’apocryphes sérieux mais vains. Avec son style feuilleton farcesque fanfreluche franchouille parfaitement assumé, Sherlock Holmes aux Enfers invente un nouveau genre : la fantasy opérette.