Stephen KING
LIVRE DE POCHE
576pp - 8,20 €
Critique parue en octobre 2015 dans Bifrost n° 80
« C’est ce que j’avais trouvé si ingénieux dans l’écriture de ce roman. A mesure que les événements surnaturels se produisent, le lecteur continue à supposer qu’il s’agit probablement des produits de l’imagination du personnage. A mon avis, c’est de cette façon qu’on se met à les accepter sans se poser de questions. » — Stanley Kubrick
Découvrir Shining dans de bonnes conditions n’est pas une mince affaire pour le lecteur francophone de ce début de XXIe siècle. Le troisième roman publié par Stephen King traîne deux grosses casseroles qui peuvent gâcher une bonne partie du plaisir de lecture. La première est sans doute le fabuleux film qu’en a tiré Stanley Kubrick en 1980, après avoir reçu et lu avec enthousiasme le manuscrit, avant même sa publication. On ne reviendra pas sur les qualités incroyables du long métrage qui aura au moins ce mérite de changer un certain nombre d’éléments de l’histoire, dont la fin. Les plus chanceux auront pu admirer lors de l’exposition Kubrick de 2011 à la Cinémathèque française l’exemplaire de Shining ayant servi à Kubrick, bariolé de toutes les couleurs et griffonné de commentaires plus ou moins flatteurs du réalisateur. Au final, le public a obtenu deux œuvres profondément différentes mais, honnêtement, il est impossible de lire Shining en 2015 sans avoir le rictus de Jack Nicholson qui s’imprime durablement dans le cerveau.
« – Reste sur le trottoir, prof, dit-elle en le serrant très fort.
– Oui, Maman. »
La seconde gamelle, plus bruyante et plus fourbe, possède comme avantage d’être escamotable. Car oui ! les gens qui éditent Stephen King peuvent un jour décider de faire RéVISER LES ABOMINABLES TRADUCTIONS QU’ON NOUS IMPOSE DEPUIS PRÈS DE QUARANTE ANS ! (Je ne crie pas juste pour vous faire sourire, je crie pour être ENTENDU !) Ou alors, le lecteur francophone peut se mettre à l’américain, qui est beaucoup plus accessible que l’anglais, et ainsi priver certains éditeurs d’une rente qu’ils ne méritent pas tant que ça.
La maman de Danny, dans la version originale, appelle son fils « Doc » parce que son fils est fan de Bugs Bunny ce que ni Joan Bernard ni l’équipe de doublage du film n’auront compris (« Doc » compris « Duck » devient… Canard… tagada tsoin-tsoin). Ceci n’est qu’un exemple des tares de traduction qui accablent le livre, au même titre que les copieuses coupures qui l’amputent. Pas facile d’apprécier le texte à sa juste valeur, donc.
« Tu perds la tête, tu déménages, tu travailles du chapeau, tu as les méninges en accordéon, tu as une araignée au plafond, tu as le timbre fêlé, tu ondules de la toiture, tu es bon pour le cabanon. Ou, tout simplement : tu deviens fou. »
Pourtant, l’histoire de Jack Torrance est proprement terrifiante : père de famille alcoolique, Jack a une fâcheuse tendance à l’écart violent. En pleine crise économique du début des années 70, il perd son boulot d’enseignant après avoir secoué un jeune un peu trop fort. Le voici contraint d’accepter un emploi de gardien d’hiver à l’hôtel Overlook, isolé des mois durant dans les montagnes enneigées du Colorado, coincé entre ses échecs et ses renoncements, enfermé au milieu de rien avec une femme prête à beaucoup de choses pour sauver son ménage et un enfant médium qui passe son temps à parler à son ami imaginaire et à voir… des choses. Un monument.