Dennis LEHANE
RIVAGES
288pp - 20,00 €
Critique parue en octobre 2003 dans Bifrost n° 32
« Nous sommes dans les années cinquante. Au large de Boston, sur un îlot nommé Shutter Island se dresse un groupe de bâtiments à l'allure de forteresse. C'est un hôpital psychiatrique. Mais les pensionnaires d'Ashecliffe Hospital ne sont pas des patients ordinaires. Tous souffrent de graves troubles mentaux et ont commis des meurtres particulièrement horribles. » Voilà pour le décor, décrit avec brio en quatrième de couverture. Quant à l'intrigue de ce « shocker » à la Seven, vous n'êtes pas prêts de l'oublier. À la faveur de la nuit, une patiente ayant assassiné ses trois enfants — Rachel Solando — a disparu, ou plutôt, on n'a retrouvé dans sa cellule vide qu'une feuille de papier sur laquelle elle avait écrit le code suivant :
« La loi des 4
je suis 47
ils étaient 80
+ vous êtes 3
nous sommes 4
mais
qui est 67 ? »
Commence alors pour les agents du F.B.I. dépêchés sur les lieux, Teddy Daniels et Chuck Aule, une enquête éprouvante, susceptible de mettre à mal leur santé mentale. Car la problématique est simple pour ces marshals : ou Rachel Solando a quitté sa cellule par des moyens surnaturels ou tout le monde ment sur Shutter Island. Et si tout le personnel soignant et le directeur de l'établissement sont de mèche, pourquoi ont-ils demandé l'aide, urgente, du F.B.I et inventé une histoire aussi tarabiscotée de disparition en chambre close ?
Avec Shutter Island, Dennis Lehane propose à ses lecteurs, de plus en plus nombreux, un suspense entièrement construit à partir d'éléments typiques des séries B horrifiques : l'île isolée en pleine tempête, le téléphone coupé, une communauté de thérapeutes aux motivations inavouables ou du moins obscures, un hôpital psychiatrique inquiétant divisé en trois blocs hiérarchisés (le bloc A pour les patients dangereux, le bloc B pour les patients très dangereux ; quant au bloc C… chut, pas un mot). Là où un Graham Masterton ou un Garfield Reeves-Stevens nous aurait proposé un sympathique livre pour le week-end d'Halloween, Lehane donne dans le magistral, se hausse au niveau de La Ligne Verte de Stephen King, notamment en renforçant son intrigue par une bonne dose de pertinence psychologique et en la rythmant par des coups de théâtre dignes d'un Michael Connelly en grande forme. Quant à ces scènes que l'on ne comprend pas très bien, qui semblent illogiques ou incongrues, eh bien… disons que, comme chez Dick, la réalité n'est pas ce que l'on voit ou ce que l'on croit, la réalité est autre et il faudra aller jusqu'au bout de ce roman pour comprendre. Voilà tout simplement un des meilleurs thrillers des dix dernières années ; trois cents pages denses et tendues à bloc (chirurgical ?) que vous avalerez en deux nuits maximum. Pour le principe, on regrettera les quelques erreurs de typo et les maladresses de traduction (surtout chapitre 17) qui entachent cette édition grand format relativement bon marché.
Dennis Lehane — superstar du nouveau thriller américain — est l'auteur de sept romans dont cinq appartiennent à la série « Patrick Kenzie et Angela Gennaro ». Parmi ces sept ouvrages, on conseillera tout particulièrement le roman one-shot Mystic River que Clint Eastwood a brillamment porté à l'écran avec Kevin Bacon, Sean Penn et Tim Robbins dans les rôles principaux.