Neil GAIMAN
AU DIABLE VAUVERT
100pp - 17,00 €
Critique parue en avril 2016 dans Bifrost n° 82
À Londres, un réalisateur âgé de cinquante ans se meurt du cancer. Il a eu la palme d’or à Cannes pour un de ses précédents films : L’Enfer d’Hauptmann (dont on apprend dans le chapitre 11, en lisant les détails de l’affiche, qu’il est basé sur une histoire originale de… Neil Gaiman). L’homme se meurt, d’autant plus vite qu’il refuse qu’on le soigne (il est condamné, mais une forme de guérison alternative, passant paradoxalement par la mort, reste possible). Il agonise, donc… et, en même temps, il parle avec ses amis, travaille sur son nouveau film situé en l’an 999. Un film sur la peur de l’an mil(le), l’espoir d’un renouveau, les quatre cavaliers de l’Apocalypse, le kali yuga, le pape Sylvestre II qui bénit le monde à l’ombre d’une horloge qui ne sera pas inventée avant le XIVe siècle (sans doute l’horloge devra-t-elle laisser la place… à qui, à quoi ?).
Signal/bruit est un roman graphique (d’abord paru en épisodes), datant de 1992. Avant, Dave McKean et Neil Gaiman avaient signé le très bon Violent Cases (1987) et relancé en 1988 le personnage de l’Orchidée Noire, pour une mini-série (un run, comme on dit dans le monde des comics) de trois épisodes. Ici, pas d’enfant victime de violence paternelle, pas de super-héroïne à la force surnaturelle et aux phéromones irrésistibles, mais une réflexion vertigineuse, un rien borgésienne, sur la création. Gaiman ne tombe jamais dans le cryptique, la facilité d’une narration opaque, préférant l’oblique, regarder son sujet de tous les côtés, du haut, du bas, depuis le passé, depuis l’avenir, de la chair à la pellicule, de la pellicule à la chair. Cette profondeur peu commune pour un roman graphique du début des années 90 est servie par une mise en page inventive, extrêmement convaincante (bien qu’hétérogène), avec des planches de seize cases impressionnantes, des pleines pages, du texte habillé, des jeux typos, etc. Une fois encore, rien de gratuit : l’image est au service du texte qui est au service de l’image, si bien que, tels la poule et l’œuf, il est difficile de trancher qui, de l’image ou du texte, est venu en premier.
Signal/bruit est un album que l’on conseille vivement, mais avec toutefois deux petites réserves qui concernent l’édition française. Le refus de traduire les textes de la partie « Wipe out » « pour des raisons graphiques et par respect pour l’œuvre originale » est difficilement compréhensible (il n’était pas si dur que ça de refaire les typos). Quant à la fabrication, elle est « légère », le dos de mon exemplaire (pourtant neuf) s’est cassé dès la première lecture. Cette œuvre (nettement moins underground qu’on semble généralement le croire) mériterait sans problème une belle édition cartonnée.