Ainsi, les prestigieuses éditions Actes Sud lancent « Exofictions », une collection de… science-fiction. Si si. Exercice périlleux, du coup, qui consiste à publier de la SF sans trop que ça se voie, afin d’ambitionner un succès populaire dans un genre réputé répulsif auprès du grand public français. Face au postulat de ce grand écart annoncé, les optimistes verront peut-être là l’occasion de redorer le blason d’un domaine bien malmené en librairie, et de convaincre quelques « critiques littéraires » parisiens de tenter l’aventure SF sans trop se boucher le nez… On peut toujours rêver.
Or donc, pour résoudre cette quadrature du cercle, « Exofictions » a misé sur Hugh Howey, un phénomène outre-Atlantique, une de ces belles histoires qui courent le Net depuis quelque temps : auteur qui s’autoédite sur la Toile ; rencontre un immense succès populaire ; est repéré par un éditeur US qui fait dudit succès initial une réussite mondiale colossale. Bref, Actes Sud a mis le paquet pour obtenir Silo (ils n’étaient pas les seuls sur le coup, naturellement), puis pour le faire connaître (grosse campagne de pub, venue de l’auteur en France, services de presse abondants, etc.). Et force est de reconnaître que l’éditeur arlésien ne s’est pas trompé : il a trouvé le bon produit, une infusion de science-fiction peu corsée à même de ne pas trop agresser le palais délicat d’un lectorat peu habitué au domaine.
Dans un futur indéterminé, après une catastrophe tout aussi indéterminée ayant rendu le monde extérieur impropre à la vie (ou prétendu tel), un petit bout d’humanité se calfeutre dans un immense silo souterrain de cent quarante-quatre étages. On découvre comment il s’organise, une partie de son histoire, les mensonges d’une hiérarchie qui manipule la population, le tout à travers les yeux de quelques personnages clés du Silo.
Si Silo n’est pas un bon livre de SF, c’est indéniablement un bon produit, un page-turner typiquement américain aux cliffhangers parfaitement huilés, à la caractérisation des personnages poussée à l’extrême. Trop, sans doute, car il en devient parfois bavard dans l’introspection excessive de ses héros. Il pèche aussi par une construction non assumée jusqu’au bout. Rappelons qu’il s’agit là, initialement, d’un recueil de nouvelles. Or, si les trois premiers textes nous présentent le point de vue de trois personnages différents, Howey change son fusil d’épaules en cours de route à partir du quatrième récit en cassant son principe. Dommage, car il y avait là, dans cette construction en prisme, une réelle ambition — autre que celle de raconter une histoire rondement menée. Enfin, pour l’amateur de SF un tantinet capé, Silo ne sort jamais d’un schéma ouvertement grand public qui en fait avant tout un « livre de SF pour les nuls », manière de roman post-apo’ dystopique light assez agaçant.
Bref, Silo est un succès public, et ça ne surprendra personne. On l’a dit, Actes Sud ne s’est pas trompé et a mis les petits plats dans les grands. Aussi le candide pourra toujours se dire qu’un tel ouvrage pourrait amener de nouveaux lecteurs à la SF. Mwouais… En attendant, plutôt que lire le tome 2 et 3 (eh oui, il s’agit d’une trilogie !), on relira La Vérité avant-dernière de Philip Dick et Les Cavernes d’acier d’Isaac Asimov, en attendant le prochain titre de la collection « Exofiction », Leviathan Wakes de James Corey, un gros space opera qui envoie du bois, et nettement moins « infusion de SF » que le présent Silo.