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Les critiques de Bifrost

Singulier Pluriel

Lucas MORENO
HÉLICE HÉLAS
240pp - 16,00 €

Critique parue en octobre 2012 dans Bifrost n° 68

Sous nos latitudes, on connaît Lucas Moreno autant pour avoir été à l’initiative du podcast Utopod (de 2007 à 2011) que pour ses nouvelles, dont deux du présent ouvrage sont à l’origine parues dans Bifrost. Premier recueil de Lucas Moreno, Singulier pluriel rassemble neuf récits, soit la quasi-totalité de l’œuvre écrite de cet auteur rare, et se divise en deux parties, l’une à tonalité fantastique, l’autre franchement science-fictive. Voyons cela de plus près.

Dans la première partie, aux textes à l’ambiance menaçante, nombre de pièges guettent les protagonistes. Les prédateurs sont partout : dans la communauté qui vous entoure, voire sur le palier d’en face. Qu’on se le tienne pour dit dans l’inquiétante nouvelle qui donne son titre au recueil : si vos voisins sont des puits de connaissance, rap-pelez-vous qu’un puits est toujours avide… « Le meilleur’ ville dou monde », c’est Angel-sur-Coffrane, petite bourgade suisse trop bien tranquille et dont l’un des habitants va comprendre, à ses dépens, le secret. Un piège. Tout comme ce village perdu dans les montagnes du Bhou-tan dans « Shacham ». « Dellamorte Del-lamore » (dont le titre fait référence à un film d’horreur du même nom) raconte l’histoire d’un type dont l’épouse ne cesse de revenir — problème : elle est déjà décédée plusieurs fois. Quant à cet autre problème, celui de l’inspecteur de police dans « Comme au premier jour », il s’agit de l’évaporation littérale d’un cadavre — un problème moindre, ceci dit, que l’insupportable suspect de ce crime…

Dans la seconde partie, c’est la réalité elle-même qui se dérobe. Dans « L’Autre moi », un homme, cobaye d’une psychiatrie d’un nouveau genre, replonge dans sa traumatique enfance : une nouvelle qui n’est pas sans rappeler le formidable L’Autre côté du rêve d’Ursula Le Guin. « Demain les eidolies », parue dans le Bifrost 55, lorgne du côté de Philip K. Dick et évoque une nouvelle discipline artistique, le « mouvement maïeutique de surface », ou l’art de dévoiler la structure de l’univers.

Les deux dernières nouvelles du recueil décrivent des paradis : piégés, forcément. La planète de « Trouver les mots » est un véritable havre de paix, mais les colons humains perdent peu à peu leurs connaissances et, pire, l’usage de la parole — sauf le conteur, qui s’enferme dans le mutisme. Dans « P V » (parue dans le n°49 de Bifrost), le protagoniste, sorte de nouvel Adam vivant dans ce qui semble un Eden, ne parvient pas à se satisfaire de ce qui lui est offert et cherche la connaissance.

Au final, on tient avec Singulier pluriel un recueil de bonne tenue, très homogène dans la qualité et les thématiques (celle de l’identité notamment), et avec une deuxième partie des plus remarquables. Rien à y jeter ; quelques textes (« Sha-cham » ou « Comme au premier jour ») font cependant pâle figure en regard de réussites comme « Demain les eidolies » ou « Dellamorte Dellamore ». Deux regrets : la présence d’aucun inédit au sommaire, et la difficulté qu’il y a à se procurer ce recueil en librairie (pour les modalités, se rendre sur le site de Lucas Moreno). Dans tous les cas, Singulier pluriel donne envie de lire davantage de nouvelles (ou, soyons fou, un roman ?) de notre auteur. Au boulot, monsieur Moreno !

Erwann PERCHOC

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