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Les critiques de Bifrost

Sirène, debout : Ovide rechanté

Nina MACLAUGHLIN
LA VOLTE
320pp - 22,00 €

Critique parue en octobre 2023 dans Bifrost n° 112

Sirène, debout – Ovide rechanté est le premier ouvrage de fiction de l’étasunienne Nina MacLaughlin, par ailleurs journaliste et essayiste. Paru outre-Atlantique en 2019, ce recueil d’une trentaine de textes plus ou moins courts (ils varient entre une unique page et une vingtaine) dévoile dès son titre son programme à la fois ambitieux et critique. Celles et ceux gardant quelques souvenirs de leurs cours de latin auront certainement identifié dans l’intitulé du livre une référence à l’un des textes les plus fameux de l’Antiquité romaine : Les Métamorphoses d’Ovide. Sans doute les latinistes se rappelleront encore que ce poème de 12 000 vers composé au Ier siècle de notre ère réunit quelques 230 récits empruntés par Ovide aux mythologies grecque et romaine. Courant de la création du monde à l’avènement d’Auguste, narrativement plus que foisonnant, le chef-d’œuvre d’Ovide trouve son homogénéité dans le motif lui donnant son titre. Les Métamorphoses dépeint notamment une galerie de femmes et d’hommes en proie à d’extraordinaires transformations. Transmués en animal ou en végétal, les protagonistes des Métamorphoses peuvent aussi devenir qui un fleuve, qui un relief, ou bien encore une inédite et monstrueuse créature. Dieux et déesses de l’Olympe sont le plus souvent à l’origine de ces transfigurations, pour l’essentiel destinées à châtier des mortels leur ayant déplu, venant plus rarement les sauver ou les récompenser. Non seulement sommet des lettres classiques, Les Métamorphoses constitue encore l’une des œuvres tutélaires de la culture occidentale. Le texte d’Ovide en constitue en effet l’une des sources toujours vives, irriguant notamment des genres chers à Bifrost. Tel est donc l’opus major que Nina MacLaughlin a entrepris de rechanter, selon sa propre formule…

Pour cette réinterprétation, l’autrice adopte une perspective résolument contemporaine, et ce à plus d’un titre. Nombre de la trentaine de récits ovidiens qu’elle réinterprète sont ainsi transposés dans un cadre des plus présent. Entre autres exemples, la relecture du mythe de Hécube se déroule durant une conférence ayant pour thème le « Traumatisme transnational : déplacement de populations, migration et exil dans le monde contemporain ». Modernes par leurs contextes, les métamorphoses de Nina MacLaughlin le sont encore par leur écriture. La matière versifiée d’Ovide laisse ici place à une prose hétérogène, oscillant entre imagerie d’inspiration poétique et oralité familière assumée. Non seulement formelle, l’actualisation des Métamorphoses par Nina MacLaughlin l’est encore par son propos. Choisissant de donner la parole à quelques-unes des victimes féminines de la puissance transformiste des Olympiens, l’écrivaine en fait les porte-paroles d’une dénonciation du patriarcat dont Jupiter constitue la forme la plus brutalement achevée.

Pareille entreprise de modernisation féministe de la mythologie gréco-latine n’a rien d’inédit. On se rappellera, entre autres nombreux précédents, des Sorcières de la République de Chloé Delaume (cf. Bifrost 85). Mais alors que celle-ci parvenait à mettre au service de son discours un certain imaginaire romanesque, Nina MacLaughlin convainc bien moins. Ne semblant au fond être guère concernée par la force allégorique du fantastique des Métamorphoses, Nina MacLaughlin ne paraît y voir qu’un véhicule à un propos qu’elle aurait tout aussi bien pu calquer sur une autre œuvre préexistante. Il en résulte un plaisir de lecture bien chiche, que ne compense pas l’indéniable force de conviction féministe de l’autrice…

Pierre CHARREL

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