Christian Léourier a les crocs. Après les campagnes et les forêts glaciales de Dur silence de la neige, paru presque simultanément chez les Moutons électriques, retour à l’espace. La Terre est un terrain de jeu trop petit pour l’auteur de « Lanmeur », habitué à voyager aux confins de galaxies lointaines, très lointaines…
Cette fois-ci, l’avenir de toutes les espèces pourrait bien reposer sur les épaules de Hénar Log Korson, aventurier terrien hâbleur et roublard, bientôt traqué par la moitié de l’univers pour avoir accepté de convoyer un vaisseau dans les soutes duquel repose une relique aux pouvoirs XXL. À ses côtés : Svaun, un pilote trans amateur de géométrie non euclidienne, et Ullinn, princesse ramenarde tout juste réveillée de son sommeil cryogénique. Quelques individus au pedigree louche viennent compléter la mauvaise troupe. La fine fleur des étoiles, quoi… L’affaire tourne rapidement au jeu de dupes entre les membres de l’équipage et le (ou les) commanditaire(s) de l’expédition, plusieurs factions extraterrestres rivales, ainsi qu’une administration galactique tatillonne : il s’avère que l’artefact suscite bien des convoitises et que tous, à des degrés divers, ont intérêt à ce qu’il parvienne à destination… mais quelle destination au juste ? Hénar se retrouve souvent forcé de sympathiser avec ses adversaires pour mieux louvoyer au milieu des complots et des retournements d’alliance, d’autant plus que le précieux chargement semble lié à tout un pan obscur de son histoire personnelle, qu’il a choisi sciemment d’oublier…
Sitrinjêta est un ouvrage composite qui emprunte autant à Star Wars qu’à La Faune de l’espace ou à Cobra Space Adventure (liste bien évidemment non exhaustive). Pour faire avancer l’action et accrocher le lecteur, l’ensemble repose moins sur la dynamique de groupe et la construction d’un univers (point fort de l’auteur) que sur les soubresauts d’une intrigue à triple fond qui semble se dérober à mesure qu’elle se dévoile. L’enchaînement des péripéties jusqu’au twist cosmogonique final est tellement bien huilé qu’il fait oublier toutes les fautes de goûts en matière de planètes, extraterrestres et vaisseaux trop peu exotiques ou de personnages tristement fades. Pour un Hénar convaincant en Han Solo du pauvre, combien de seconds couteaux à peine esquissés ?… Heureusement, à côté du chef scout de la bande, Ullinn apporte une dimension badass, façon SuckerPunch, assez rafraîchissante.
Quintessence du space opera populaire, les meilleures productions estampillées Fleuve Noir ne valaient que par la capacité de leurs auteurs à trouver des interstices entre le scénario, le casting et les scènes de batailles navales imposées où ils pouvaient glisser leur patte. S’inscrivant dans la même lignée, Sitrinjêta n’a pas à rougir ; Christian Léourier s’en sort même étonnement bien si l’on considère l’aspect casse-gueule du projet (un one-shot d’à peine trois cents pages) pour un auteur dont l’imaginaire n’aime rien tant qu’avoir les coudées franches afin d’exprimer toute sa richesse et sa force poétique (en témoigne le cycle de « Lamneur »). De fait, s’il n’échappe pas à un certain classicisme, le ton – et l’écriture – suffisent à rendre le livre éminemment sympathique et à le distinguer de la masse des blockbusters signés David Weber, Jack Campbell et consorts.