Jack VANCE
LE BÉLIAL'
352pp - 21,00 €
Critique parue en avril 2007 dans Bifrost n° 46
Six nouvelles et un court roman, tous datés des années cinquante à l'exception de « Planète de poussière » (1946), composent ce recueil de Jack Vance. L'exotisme y est de rigueur et la plupart des histoires traitent de commerce extra-planétaire et des dangers ou problèmes afférents ; on lutte ainsi contre une créature dans une région de prospection minière (« Joe Trois Pattes ») ou on espère développer le tourisme sur une planète malgré la présence de sjambaks, dissidents au pouvoir local (« Sjambak »).
L'expédition de marchandises à travers les mondes, dans les soutes de vaisseaux spatiaux ou par le biais d'une technique de téléportation, génère des trafics et des escroqueries (« La Planète de poussière », « Le Robot désinhibé »). Ces mondes aux forts relents de colonialisme permettent d'aborder le sujet sous divers éclairages. Les nouvelles qui ouvrent et ferment le recueil en particulier montrent que les occupants ne sont pas toujours les vainqueurs : « Les Maîtres de maison » ne sont pas forcément ceux que l'on croit et la culture locale marque parfois l'envahisseur de son empreinte au point de l'obliger à s'adapter au lieu d'imposer ses vues planifiées (« Le Diable sur la colline du Salut »).
Tout ce qui fait le talent de Vance est déjà présent : loin de se concentrer sur l'intrigue, le récit fourmille de détails et de remarques renforçant la sensation de décalage culturel. Ces touches discrètes ne sont pas seulement utiles pour l'exotisme mais plaident pour la tolérance et le respect des cultures étrangères, témoignant au passage de l'ouverture d'esprit de Vance face à l'autre.
Le court roman formant le cœur du présent volume tranche radicalement sur les nouvelles et montre que Vance est passé maître dans plusieurs registres. Parapsyché est en effet un récit fantastique basé sur la thématique de la maison hantée mais qui évolue vers la maîtrise de pouvoirs paranormaux. Bien que convenue aujourd'hui, l'intrigue reste passionnante, portée par un suspense constant. On apprécie la tentative de Vance pour rationaliser les phénomènes de poltergeist avec une théorie faisant de la pensée une matière, au même titre que la lumière, on estime davantage encore ses prises de position fermes pour la liberté de pensée, contre l'obscurantisme religieux, opposition qui se manifeste ici en une lutte farouche entre les Croisés Chrétiens et la Société pour la Liberté de Pensée.
Ce roman et trois nouvelles (sur six) étaient restés inédits à ce jour, et, des trois rééditions, aucune n'avait encore été publiée dans un recueil. Même si certains textes ont vieilli, la lecture de ces histoires reste tout à fait agréable. On y entend en particulier cette musique propre à l'auteur, une musique légère et familière, comme ces airs populaires que l'on tient pour négligeables mais qu'on ne cesse de siffloter parce qu'ils rendent la vie plus gaie. Il est bon de la retrouver encore une fois.