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Les critiques de Bifrost

Soie sauvage

Soie sauvage

Fabienne LELOUP, Alain DORÉMIEUX
NESTIVEQNEN
208pp - 13,50 €

Bifrost n° 38

Critique parue en avril 2005 dans Bifrost n° 38

Evoquons une fois encore le pourcentage élevé de déchet parmi les premiers romans. La quasi disparition du fanzinat n'a pas entraîné celle de l'espace où les jeunes auteurs pouvaient faire leurs premières armes. Au contraire, le Net a même élargi cet espace. Mais le fanzine se payait et le fanéditeur était un éditeur qui se cognait le boulot. Désormais, l'auteur est livré a lui-même. Il se met en ligne ou pas. Point. Et un beau jour, parfois même d'emblée, il passe au roman… Combien de daubes ne finissent-elles pas par être éditées ? Tâcherons poussifs ou talents mal dégrossis ? Les éditeurs les moins bien armés économiquement feront de leur mieux et certains, pas forcément les pires, finiront par jeter l'éponge. Mais du point de vue du lecteur qui met la main au gousset, c'est intolérable. Il a le droit d'en avoir pour son argent, et le prix du grand format — et non, les auteurs ne peuvent plus faire leurs dents de lait de romanciers au Fleuve Noir « Anticipation », il s'est tari — est dissuasif pour ne pas dire rédhibitoire. Aussi, quand ledit lecteur finit par mettre la main sur un premier roman abordable et qu'au bout du compte il ne s'en mord pas les doigts, jurant qu'on ne l'y reprendrait plus à perdre de la sorte son temps et son bel et bon argent, c'est déjà bien.

La première impression qui m'est venue en lisant Soie sauvage est qu'il y avait là-dedans quelque chose de Francis Berthelot ; puis qu'avec Fabienne Leloup, Nestiveqnen se dégotait une deuxième Catherine Dufour (il était temps). Le livre lisant, mon enthousiasme s'est refroidi. Refroidi, pas éteint.

Il y a trois parties distinctes bien que non matérialisées dans Soie sauvage. L'histoire du tatouage, l'histoire de la veuve noire et l'histoire du cirque. Soit Barbara, une adolescente un peu forte au physique ingrat, éclipsée par sa sœur cadette, Muriel, aussi fine et jolie que superficielle, dénigrée par sa mère. Jalouse et aigrie, animée d'obscurs fantasmes. Elle voit une femme-araignée tatouée sur l'épaule d'un homme. Fascinée, elle se fait tatouer la même et se prend à rêver d'être une veuve noire à même de prendre les hommes dans ses rets. Cette première partie, qui a soulevé mon enthousiasme, reste à mon sens la meilleure, la plus aboutie. Elle est tendue entre ambiguïté et sensualité. Tactile et olfactif avant d'être auditif et à peine visuel, tel est l'univers où nous invite Fabienne Leloup. De cette sensualité, des odeurs, de la texture des étoffes, des bruissements, Fabienne Leloup fait naître un érotisme subtile et enivrant.

La seconde partie, plus explicitement fantastique, va gagner en violence ce qu'elle perdra en finesse. C'est dommage. J'aurais bien imaginé le roman se poursuivant à la manière de « Nidification », la nouvelle de Scott Baker (Aléas, Denoël « Présence du Fantastique"). Fabienne Leloup a choisi une autre voie, plus âpre, confinant même au gore. Quoi qu'il en soit, Leloup aurait dû conclure à ce stade. Sauf que 130 pages ne suffisent pas à un roman. La mère et la sœur mortes, le déménageur inexploité, Barbara et Arachné, le tatouage animé d'une vie propre, restaient seuls en lice, Fabienne Leloup n'avait guère de solution de continuité.

Pour poursuivre, elle convie donc un étrange cirque d'insectes géants, digne de La Foire des ténèbres de Bradbury, au festin de l'araignée. L'irruption de ce nouveau contexte institue une rupture forte, trop forte, dans la trame romanesque qui n'y résiste pas. D'autant moins que Leloup choisit une fin hyperbolique, c'est-à-dire plongeant dans le fantastique alors que l'on attendait, au terme de la seconde partie, une fin parabolique, tendant à un retour vers la normale. Ce n'est pas ici surprendre mais tromper, et, en l'occurrence, se tromper.

Ce premier roman, placé sous le signe d'un pouvoir féminin, est loin d'être exempt de défauts. Il révèle par contre une romancière en devenir armée d'une jolie plume, d'un sens et d'un goût des mots et d'une sensualité peu commune qu'il va falloir suivre avec la plus grande attention. En attendant, on peut se laisser embobiner par cette Soie sauvage.

Ce court roman est suivi de 2 nouvelles naguère parues chez Denoël : « Penthouse », in Territoires de l'inquiétude 9 et « Œuvre de chair », écrite en collaboration avec feu Alain Dorémieux et publiée dans le recueil de ce dernier, Tableaux du délire (tous deux chez Denoël).

Jean-Pierre LION

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