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Les critiques de Bifrost

Soleil vert

Harry HARRISON
J'AI LU
14,90 €

Critique parue en octobre 2014 dans Bifrost n° 76

Il y a des films dont le succès est tel qu’ils ont totalement occulté le roman dont ils sont l’adaptation. C’est le cas de Soleil vert, l’un des films de science-fiction les plus marquants des années soixante-dix, considéré aujourd’hui comme un classique bien au-delà du seul cercle des amateurs du genre. Dans ce cas précis, il est allé jusqu’à faire oublier le titre original du livre (Make Room ! Make Room !) au profit d’un autre tout à fait incongru puisqu’à aucun moment dans le roman il n’est question de ce fameux soleil vert. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’aucun des passages les plus marquants du film (la révélation sur la nature véritable du soleil vert, les manifestations dispersées à grands coups de tractopelles, la mort de Sol, le personnage qu’interprète Edward G. Robinson) n’apparaît dans le livre.

Ce que l’on retrouve, en revanche, c’est ce monde pollué et surpeuplé, cette ville de New York accablée de trente-cinq millions d’habitants, une population qui dans son immense majorité ne peut que survivre dans des conditions de vie sordides, tandis qu’une petite poignée de privilégiés, abritée derrière d’épaisses murailles, continue de ne se priver de rien. On y suit également une enquête policière qui s’intéresse au meurtre d’un riche homme d’affaires. Toutefois, à la différence du film, celui-ci ne dissimule pas un complot à l’échelle planétaire. Son auteur nous est d’ailleurs révélé dès le début : Billy Chung, un gamin comme tant d’autres, contraint de commettre quelques larcins de temps en temps pour arrondir ses fins de mois. Jusqu’au jour où le propriétaire de l’appartement qu’il est en train de visiter le surprend et que Billy le tue accidentellement. L’investigation que mène le détective Andy Rusch va se dérouler tout au long du roman, sans en constituer l’élément principal. Car ce qui intéresse avant tout Harry Harrison ici, c’est de décrire le quotidien misérable de ses personnages, un quotidien qui ne cesse de se dégrader un peu plus chaque jour : conditions climatiques épouvantables, difficultés de logement, pénuries d’eau et de nourriture à répétition, et les émeutes que ces situations entrainent inévitablement. Dans la description de ce futur cauchemardesque et des causes du désastre qu’il met en scène, le roman a plutôt bien vieilli, sauf lorsque les personnages se lancent dans des débats passionnés mais qui apparaissent aujourd’hui bien désuets sur la contraception et le contrôle des naissances (lorsque Harrison écrit ce livre, l’avortement est toujours interdit aux Etats-Unis, et dans certains états l’utilisation des pilules contraceptives reste réservée aux femmes mariées).

Moins spectaculaire que son adaptation cinématographique, plus intimiste dans sa mise en scène, Soleil vert, le roman, propose ainsi une variation intéressante et complémentaire à une histoire désormais connue de tous. L’occasion est donc belle de redécouvrir cette œuvre, d’autant que J’ai Lu nous la propose dans une nouvelle traduction, signée Sébastien Guillot.

Philippe BOULIER

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