Patrice LOUINET, Robert E. HOWARD
BRAGELONNE
432pp - 22,00 €
Critique parue en octobre 2016 dans Bifrost n° 84
Solomon Kane, le puritain élisabéthain. Arpentant les terres sombres d’une jungle méphitique, sa rapière au côté, tenant à la main un bâton vaudou, rendant froidement la justice au nom de Dieu, au nom, surtout, de la folie qui l’anime !
Avec Kane, Robert Howard est tombé sur quelque chose de puissant. Solomon Kane n’a rien de sympathique, aucune chaleur, aucune énergie barbare emportant l’adhésion contrairement aux autres brutes mélancoliques créées par le Texan. Kane est un ange de la vengeance, un fou halluciné jeté dans un voyage sans fin, un marcheur qu’on imagine lancé sur un chemin qui s’étend jusqu’à la fin des temps.
Le premier récit le mettant en scène (« Solomon Kane », connu aussi sous le titre « Ombres rouges ») est à la fois un ratage littéraire complet (cadre historique grossier, changements de ton, de genre, de décors impromptus, incohérences narratives) et un modèle de puissance et d’énergie : en France, au seizième siècle, des bandits massacrent. Solomon Kane le puritain recueille le dernier soupir d’une jeune fille violée. Et sur quarante pages, des mois de poursuite et des milliers de kilomètre parcourus, il accomplit sa vengeance. Men shall die for this !
Les histoires de Kane sont l’occasion pour Howard de créer des récits hybrides, croisements entre histoires de pirates, d’exploration africaine et fantastique gore. Les tambours battent jusqu’à l’obsession, des monstres innommables sortent de la jungle, des cadavres s’animent, des crânes sont fichés sur des piques et le sang coule. L’un au moins de ces récits (« Des ailes dans la nuit ») contient des images d’horreur gothique qui habiteront longtemps le lecteur.
Les récits à lire absolument : « Solomon Kane », « Les Collines de la mort », « Des ailes dans la nuit ».
Kane incarne un fantasme noir et terrifiant, une matière passionnante pour le lecteur curieux des mécanismes et des ressorts de l’écriture. Rarement Howard a été plus direct et sincère que dans les récits qui lui sont consacrés.