James P. BLAYLOCK
DENOËL
464pp - 22,11 €
Critique parue en juin 2001 dans Bifrost n° 22
Quand la Nativité approche en Californie du Sud, on écope en général, en guise de temps de saison, d'averses plus fréquentes. Et dans les banlieues foisonnantes du Comté d'Orange, plus connu aujourd'hui pour Disneyland que pour ses agrumes, on a peu de chances d'entendre le son des carillons d'église. Pourtant c'est autour des églises d'un des coins les plus anciennement urbanisés de l'endroit — le « vieil » Orange, garanti XXe siècle d'origine — que Blaylock choisit de situer son action, où un contrat avec le Diable se télescope avec un conte de Noël.
Au centre du réseau démoniaque, Robert Argyle, financier véreux mais bien respecté dans la communauté en raison de son succès matériel. De l'autre côté, deux prêtres, un catholique, Mahoney innocent ramasseur de coquillages, et un protestant, Bentley plus inquiétant parfois, un personnage pétri de paradoxes qui est un des plus étranges du livre. Mais pas le plus attachant ; la place est réservée à l'habituel anti-héros blaylockien, Walt Stebbins. À quarante ans, il n'a toujours trouvé ni travail régulier ni un commerce qui puisse le faire vivre, et se repose sur sa femme, Ivy, agent immobilier. Sa contribution au ménage, comme souvent chez Blaylock, se résume à du bricolage inefficace, et à l'amoncellement dans des hangars qui grignotent le jardin d'un incroyable bric-à-brac qui devrait, sinon assurer sa fortune, du moins être utile à quelqu'un. Un jour, pourtant, le manque d'ambition de Walt est garant de sa pureté morale. Quand tombe entre ses mains un fétiche capable d'exaucer tous ses vœux, il est très réticent à s'en servir, et quand on lui offre de l'argent sale, il sait qu'il a une odeur. Il y a quelque chose de dickien dans ce héros innocent (avec Tim Powers et K. W Jeter, Blaylock faisait partie des gens qui ont connu Phil Dick durant sa période Orange County des années 70), un quelque chose souligné par de petits clins d'œil comme son attention à la vie et à la mort des insectes, ou la désopilante scène de tentative de recollage du Pot à Lait en Forme de Vache (et rien de galactique ici1). Il y a aussi un clin d'oeil à Powers, ces âmes enfermées dans des bocaux, qui ne tiennent guère de rôle dans l'intrigue, mais rappellent furieusement un concept central de son roman Expiration Date.
Au demeurant, quand les responsabilités incombent par force à Walt, sous la forme de deux neveux de sa femme abandonnés par leurs parents, il sait se montrer, au-delà de ses protestations, le meilleur des pères de rechange. Et son manque d'ambition le protège également contre les escroqueries, comme celles dans lesquelles son oncle Henry, naïf et sans scrupules à la fois, tombe avec une désespérante régularité. Aussi n'est-il pas surprenant que, tandis que vandalisme anti-religieux et indices d'intervention satanique se multiplient, Walt garde la tête froide et finisse par arranger la situation in extremis.
Difficile de donner une idée précise des livres de Blaylock, qui fonctionnent par accumulation de détails insignifiants, à l'image de ses personnages un peu névrosés qui empilent les objets sans valeur. Comme c'est une névrose que je partage, à l'instar de beaucoup de fans de S-F, je ne peux m'empêcher d'éprouver de la sympathie pour ce point de vue. Dommage, soit dit en passant, que le livre soit massacré par un traducteur dont on dirait qu'il a appris le français en écoutant des séries américaines doublées à la télévision. Blaylock arrive quand même à transmettre des tonnes d'humour et de tendresse, et à donner du fantastique à base chrétienne dans un cadre contemporain sans se ridiculiser (si, si, tout se termine bien pour Noël, et on marche comme dans un film de Capra !).
Notes :
1. Le Guérisseur de cathédrales (Manque de pot, dans sa première traduction), de Philip K. Dick, s'intitule Galactic Pot Healer en anglais, (NDRC).