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Les critiques de Bifrost

S.O.S. Antarctica

Kim Stanley ROBINSON
PRESSES DE LA CITÉ
528pp - 19,82 €

Critique parue en décembre 1998 dans Bifrost n° 11

Nous sommes au début du XXIe siècle, autant dire demain. Le traité qui garantissait à l'Antarctique sa non appropriation par quelque puissance que ce soit (état ou entreprise), son statut de territoire libre, l'interdiction de son exploitation à des fins industrielles, n'a pas été reconduit par les nations signataires. Résultat, en ces temps ou le pétrole est une denrée rare, les enchères montent. Les pays pauvres entreprennent de sonder les ressources du continent, le tourisme de l'extrême se développe, les scientifiques se démènent pour maintenir leurs subventions, les groupuscules d'écologistes radicaux prennent les armes… Les enjeux sont énormes. Au-delà d'un paquet de milliards de dollars, sur cette Terre surpeuplée, polluée, confrontée à un réchauffement intense, l'Antarctique est le plus précieux des symboles. L'humanité sera-t-elle suffisamment sage pour préserver ce dernier territoire propre et vierge en ménageant l'intérêt de chacun et, si elle y parvient, saura-t-elle appliquer cette sagesse nouvelle au reste de la planète ? Il en va de la pérennité de la vie sur Terre…

Pour traiter ce sujet ambitieux, l'auteur prend le parti de nous présenter une poignée de personnages très divers et différemment liés au continent glacé. Il y a les scientifiques, naturellement, leurs quêtes chimériques et leurs vaines disputes ; les prospecteurs de pétroles qu'il serait si facile de juger et pourtant ; ceux qu'on pourrait appeler les « naturels » et qui vivent au fin fond du froid, coupés du monde ; le paumé de service, qui va se trouver une motivation nouvelle au-delà d'une déception amoureuse qui le ruine ; la superbe et infatigable guide de l'extrême en but à ses clients touristes bornés ; le sage chinois aux aphorismes sibyllins mais à l'extrême humanité ; Wade, le politicien ultra urbanisé, par les yeux de qui, en grande partie, on découvre les merveilles de ce monde étrange, presque extraterrestre… Autant de destinés humaines divergentes, voire en totale opposition, qui vont pourtant se croiser, s'affronter, se mêler. Autant de lignes narratives imbriquées qui, petit à petit, tissent une toile de fond extrêmement dense et riche, époustouflante.

Depuis sa fameuse trilogie martienne, on savait Kim Stanley Robinson un auteur précis et minutieux. Avec S.O.S. Antarctica (titre ridicule auquel on préférera l'original, Antarctica, Inc.), il accouche une nouvelle fois d'un livre long, ambitieux, d'une rigueur scientifique sidérante (trop, parfois) et d'une portée humaine considérable. On est ici bien loin d'une science-fiction imagée et divertissante. Les digressions de l'auteur peuvent lasser, mais on reste ébahi devant la maîtrise narrative et l'extrême intelligence du propos.

Olivier GIRARD

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